Après le petit déjeuner l’inspecteur organisa un briefing dans la bibliothèque.
- Nous avons beaucoup avancé hier et je sais que plusieurs d’entre vous ont étudié une partie de la nuit. Il faut que nous sachions ce qui se trame à Gisors. Nous n’avons toujours pas trouvé d’accès souterrain dans le château pourtant nous savons qu’il y en a un qui conduit à Neaufle et qu’il est probable qu’un autre relie l’église. La dernière fois c’est la tour du prisonnier qui nous a débloqués. Je vous propose de revoir les différents graffitis.
Il projeta les photos qu’Elsa avait prises dans la tour et fut rapidement arrêté par l’architecte.
- J’ai déjà vu ce symbole plusieurs fois en ville.
- Les deux anges tenant un cœur ?
- Oui, la même figure orne plusieurs des contreforts extérieurs de la collégiale.
- Ok, préparez-vous, vous partez dans une heure, Ivan vous accompagne.
L’église était ornée de beaucoup d’œuvres étranges, les jeunes gens s’attardèrent d’abord sur un immense bas-relief représentant trois châteaux. Mais trois était un de trop et rien ne semblait figurer un souterrain. Leur attention fut alors portée sur l’élément le plus extraordinaire de l’église, un squelette allongé accompagné d’un texte sur la mort. Sur ce qui aurait pu être son cercueil était gravée une date : L AN 1526.
- Etrange présence mais peu utile pour nous, la date est trop récente dit Anne-Sophie.
- Est-tu sûre que c’est une date ? Demanda Ivan en tapotant sur son Smartphone. Là où tu vois un « 5 » je lirais plutôt un « j ».
- Le « j » n’était pas utilisé du temps des templiers.
- Il faut croire que le message n’est pas de leur part. Oublie l’idée de date, que vois-tu ?
- Deux suites de lettres séparées par un espace.
- Moi j’y vois un code César avec un décalage de 22 pour le premier groupe et 21 pour le second. Et cela colle avec certains éléments de la tour du prisonnier.
- Pourquoi 22 et 21 ?
- Parce que c’est le nombre de grand-maîtres de l’ordre du Temple suivant si l’on compte ou non le controversé Gérard de Ridefort.
- Pourquoi controversé ?
- Certains Templiers le voyaient comme un traitre manipulateur d’autres comme un héros sans peur.
- Je vois… et qui avait raison selon toi ?
- Les deux sans l’ombre d’un doute mais si nous en revenions en à ce codage.
A l’aise avec les chiffres, l’architecte effectua rapidement la translation. Ses grands yeux s’écarquillèrent.
- Tu te moques de moi ?
- Nous cherchons bien un passage secret non ? Ce décodage donne le nom d’un homme célèbre pour sa façon d’entrer quelque part sans utiliser la porte. Il nous reste à trouver un de ses accès préférés. Le seul truc qui me trouble est qu’il manque une lettre dans son nom.
- Elle est inutile pour l’identifier. Il n’y a pas d’élément de ce genre dans l’église, allons voir le château.
La forteresse de Gisors comprenait 12 tours dont 10 sur les murs d’enceinte. Une seule de ces dernières disposait du type d’accès utilisé par l’homme codé dans la date. Malheureusement leurs fouilles ne menèrent à rien.
- J’ai une idée dit Ivan. Rappelles-toi des croix, elles attiraient notre attention sur une lettre manquante, le squelette doit faire de même. Cette lettre indique peut-être une autre tour comptée à partir de celle-ci.
- Mais cette lettre ne ressemble à aucun chiffre ?
- Si, dans la seule langue qui soit autant adapté à l’homme qu’à l’ordinateur : l’hexadécimal. Il suffit donc de compter ce nombre de tours à partir de celle indiquée par le reste des lettres. Reste à savoir dans quel sens tourner.
- Nous savons dans quel sens les templiers comptaient, il suffit d’étudier comment fonctionnait leur code dit « chiffre templier ». Dit l’historienne en leur montrant la méthode de chiffrement.
- Moui, note que ça ne marche que pour le début du code.
- L’important est qu’ils ne tournent jamais dans l’autre sens.
A quoi ça sert de tuer l'ours, si on n'a pas d'abord vendu la peau ?
L’inspecteur fit fouiller la tour la nuit suivante, il revint le matin avec deux nouvelles dont l’une était mauvaise :
- Nous avons trouvé le souterrain Anne-Sophie, il menait bien vers le moulin mais comme prévu il est bouché près de la partie que nous avions déjà visité.
- Et vous n’avez pas vu de chapelle en chemin ?
- Non, juste un souterrain sans ramification ou porte. Nous avons estimé la zone ou les deux accès sont éboulés, figurez-vous qu’elle est matérialisée en surface par une croix entourée d’un cercle.
- Ah oui, je l’avais remarquée en venant ici, nous devrions aller l’examiner.
En arrivant sur place l’équipe comprit pourquoi les souterrains étaient obstrués : à proximité de la croix, un large fossé coupait leur axe à 45 degré.
- Vous pensez que cela a été creusé pour trouver le souterrain ? Demanda l’historienne.
- Pas du tout ; répondit le trader qui avait inspecté l’autre côté de la route. Il s’agit d’une ancienne voie de chemin de fer, en traversant la chaussée, vous trouverez quelques rails.
- Mais, d’après l’évaluation d’Anne-Sophie, le tunnel n’était guère plus profond. Ceux qui ont construit la voie l’ont obligatoirement dévoilé, pourquoi n’en a-t-on rien su ?
- Parce qu’ils n’en ont jamais rien dit. Répondit le trader en dépliant un plan.
- Qu’est-ce donc ?
- C’est le plan des travaux de la future déviation ouest de Gisors. Si vous regardez bien, il indique que plusieurs vestiges ont été découverts sur le tracé.
- C’est extraordinaire il y en a de toutes époques.
- Oui, et chacun d’eux a retardé les travaux de plusieurs mois sans parler de la perte financière. Croyez-moi, à l’époque de cette voie ferrée l’argent des investisseurs passait avant les morceaux d’os. Ceux qui décelaient quelque-chose de ce genre faisaient tout pour l’oublier très vite.
- Je suis atterrée par tant de cynisme !
- Si cela peut te rassurer, je suis persuadé que s’il y avait eu ici une chapelle regorgeant d’or, leur attitude aurait été différente. Je trouve donc surprenant que l’on ait placé ici une croix juste pour indiquer un souterrain.
- « On » ne l’a pas placée ici. Intervint l’architecte qui revenait de la croix.
- Que veux-tu dire ?
- J’ai observé attentivement cette croix. Elle est bien d’époque templière mais l’état de son socle montre qu’elle a été déplacée.
- Mais alors peut-être que son ancien emplacement indiquait bien la chapelle. Peut-on le retrouver ?
- Non mais j’ai peut-être une idée. Les deux croix qui nous ont indiqués le Chi et le Pi n’ont peut-être pas été placées au hasard. Regardez, j’ai tracé un trait pour les relier sur la carte. Le milieu du segment est près d’ici, il est matérialisé par une borne.
Ils se rendirent rapidement sur les lieux mais ne trouvère rien de particulier, si ce n’est une magnifique maison construite dans un style très ancien. Anne-Sophie était admirative.
- C’est vraiment très bien conçu, il y a juste quelque chose de bizarre. La maison possède deux cheminées.
- Cela arrive souvent, qu’est-ce qui te choque ? Demanda Elsa.
- Les deux cheminées sont presque accolées, Pourquoi n’avoir pas utilisé un conduit commun ?
- J’ai l’impression que vous posez une question dont vous avez la réponse. Dit l’inspecteur avec un œil malicieux.
- Nous sommes bien plus haut que le souterrain inspecteur, si la chapelle est à la même altitude que lui, elle est à une profondeur qui nécessite une bouche d’aération.
- Et une cheminée serait le meilleur moyen de la camoufler, en effet. Si votre raisonnement est bon il doit y avoir un tunnel qui relie le souterrain à ici et, puisque nous n’avons pas trouvé son raccordement, il doit être au niveau de la percée faite pour la voie ferrée.
Ils passèrent toute l’après-midi à sonder la paroi nord du fossé et finirent par trouver un mur en ruine qui les conduisit à une galerie. L’inspecteur souhaitait attendre le lendemain pour envoyer une équipe de policiers mais tous, à l’exception d’Anne-Sophie, insistèrent pour s’en charger eux-mêmes. La progression dans l’étroit boyau en fut d’autant plus pénible, si bien que le soulagement l’emporta sur la surprise quand celui-ci déboucha, cinquante mètres plus loin, dans un réseau de cavités calcaires.
- C’est magnifique ; s’émerveilla Elsa. Regardez inspecteur c’est immense !
- Oui cela fait tomber notre théorie sur la cheminée, l’oxygène ne manque pas ici et c’est une bonne chose car il nous faudra des jours pour trouver une chapelle dans ce dédale.
- Sauf si nous suivons ceci ! Cria l’informaticien qui s’était éloigné.
L’équipe le rejoint rapidement et concentra ses faisceaux lumineux sur un câble noir qui serpentait sur le sol.
- Qu’est-ce que c’est Ivan ?
- J’ai ma petite idée mais il faut que nous le suivions d’abord vers la sortie.
Suivant ce fil d’Ariane et le déterrant dans le tunnel, ils aboutirent à une boîte enfouie fixée sur un câble de plus grande section qui courait tout le long du fossé ferroviaire. L’informaticien pris la parole.
- J’avais remarqué un panneau noté « FO » de l’autre côté de la route près des rails. On utilise souvent les cheminements des voies ferrées pour tirer les fibres optiques reliant les villes au réseau Internet.
- Vous pensez qu’ils ont voulu faire un branchement pirate sur Internet ? Demanda l’inspecteur.
- Non cela se serait vu et il y a plus simple. En revanche, s’ils ont réellement installé des supercalculateurs ici ils ont besoin d’un moyen de leur injecter un gros flux de données à partir d’un site distant et plus confortable.
- A Val-de-Reuil par exemple ?
- Oui et pour cela il leur faut un réseau de transport à haut débit qu’ils ne peuvent installer discrètement. Je pense qu’ils les injectent sur cette fibre optique publique et le récupèrent ici.
- Mais je croyais que les fibres codaient l’information par présence ou absence de lumière. S’ils utilisent la même fibre ils sont obligés de couper le trafic public et ça ne peut que se remarquer.
- Vous auriez raison si l’on n’avait pas inventé la technologie WDM. En simplifiant il s’agit d’utiliser plusieurs couleurs de lumières sur la même fibre.
- Je comprends, si l’opérateur de la fibre utilise une lumière bleue, la même fibre peut être utilisée pour transporter une lumière rouge sans interférer. Si vous avez raison, en suivant ce fil nous devons tomber sur des systèmes informatiques.
- Et la chapelle ?
- La chapelle n’est pas notre objectif, nous ne sommes pas chasseurs de trésor. Rappela l’inspecteur.
Leur nouveau point de repère permit une progression rapide dans un dédale de tunnels et de cavités calcaires, il se termina sous une immense voute naturelle. L’inspecteur balaya ses abords avec sa lampe. Les flancs suintants de la voute étaient percés de grottes de tailles variables, le câble se dirigeait vers l’une d’elles. En s’en approchant ils s’aperçurent que le trou originel avait été retaillé à main d’homme en forme de porte, une grille en interdisait l’accès.
- C’est une sacrée porte, impossible de la bouger à la main. S’exclama l’inspecteur.
- Je crois qu’elle est prévue pour s’ouvrir en coulissant vers le haut comme une herse. Répondit Ivan
- Vous voyez ça à sa fixation ?
- Non, aux boutons. Regardez sur le côté, il y a deux dessins superposés comme ceux d’un ascenseur.
En effet deux triangles étaient gravés comme pour indiquer « monter descendre », les triangles étaient doublés sur deux côtés par deux traits formant un « V » donnant un symbole semblables au bouton « avance rapide » d’un lecteur de bande. Ivan appuya dessus à tout hasard.
- Non c’est juste une gravure dans la pierre. Vous pensez que l’on peut forcer cette grille ?
- Il faudrait des moyens lourds que l’on ne peut amener ici ou des explosifs, dans les deux cas le risque d’un éboulement serait trop important.
Elsa examina les gravures d’un air songeur.
- Quel jour somme-nous ?
- Je vois à quoi vous pensez, une des légendes concernant ces souterrains parle d’une grille qui s’ouvre la nuit du 24 décembre et se referme après. C’est dans deux jours.
Dernière modification par bob d artois le ven. 19 févr. 2016 15:57, modifié 1 fois.
A quoi ça sert de tuer l'ours, si on n'a pas d'abord vendu la peau ?
XII- La lumière est semée pour le juste (Psaumes 97-11)
De retour au manoir Elsa ne réussit pas à convaincre les garçons de l’accompagner le jour venu. Ils avaient tous quelque-chose de prévu pour Noël et trouvaient l’idée ridicule. Au milieu des railleries, une voix timide se fit entendre.
- Je suis libre cette nuit-là.
- Anne-Sophie ? Ca ne te fait pas peur ?
- Si mais il ne reste que moi.
Sa candidature suffit à faire changer Thierry d’avis mais Anne-Sophie déclina sa proposition.
- J’aurais dû venir la première fois, j’aurais peut-être trouvé une solution qui nous évite de compter sur la magie. Il faut que je sois du voyage.
C’est ainsi que les deux jeunes filles passèrent la veillée de Noël dans l’humide obscurité d’une caverne. Assises contre une paroi, elles s’étaient blotties l’une contre l’autre sous une couverture, attendant que minuit vienne.
Pendant longtemps leurs deux lampes restèrent fixées sur la grille mais soudain le faisceau d’Anne-Sophie devint comme fou.
- Que fais-tu ?
- Il y a des bruits bizarres partout. Ca ne t’effraie pas ?
- Si, mais je préfère ça aux théories capitalistes de Thierry.
- Ne le juge pas trop sévèrement. J’ai vu son regard quand il parlait des trafics de viande. Il aime excessivement son métier mais, pour cette même raison, il déteste encore plus que toi ceux qui n’en respectent pas les règles.
La voix d’Elsa s’attendrit.
- Fais-moi confiance pour assurer la surveillance. Essaie de dormir ça empêchera ton imagination de vagabonder.
Rassurée, Anne-Sophie obtempéra sans s’en rendre compte. Près d’une heure plus tard, un geste doux la sortit de sa torpeur.
- Réveille-toi, la grille n’a pas bougé. C’était bien une légen…
Les deux filles crièrent en même temps. Un bruit rugueux déchirait le silence, se répercutant en échos dans les profondeurs de la caverne.
Quand leurs cœurs reprirent un rythme normal, Elsa resta figée face à la porte maintenant ouverte. Anne-Sophie sortit la montre gousset de son aïeul pour observer l’heure indiquée. Elle sourit.
- Nos templiers ne sont pas en retard. Ils s’accordent simplement sur l’heure solaire.
Elles se réchauffèrent avec le thermos de thé d’Anne-Sophie puis, laissant à regret les ténèbres se glisser dans leurs dos, commencèrent leur exploration. Se frayant un chemin au travers de toiles d’araignées épaisses et gluantes, elles traversèrent une sorte d’antichambre encombrée d’amphores puis un couloir dans lequel la roche brute céda la place à des pierres maçonnées. Quelques mètres plus loin Anne-Sophie arrêta son amie alors qu’elle abordait une sorte de coude.
- Tu as entendu ?
- Quoi ?
- Je ne sais pas, une sorte de de frottement, comme des feuilles de papier qu’on froisse.
Elsa cacha son inquiétude lorsqu’elle aussi perçu un de ces bruits. Faisant signe à Anne-Sophie de ne pas bouger, elle progressa vers l’angle du mur et braqua brusquement sa lampe dans la partie occultée.
A ce moment les bruits se multiplièrent et s’accompagnèrent de cris stridents.
- Baisse-toi !
Mais Anne-Sophie resta figée au milieu du couloir lorsque la nuée de chauve-souris déboucha. Affolées par l’obstacle imprévu certaines s’accrochèrent dans ses cheveux lui arrachant des cris de panique.
Elsa se releva rapidement pour aider son amie et la débarrassa des derniers volatiles. Elle éclaira le plafond de sa lampe pour diffuser une lumière indirecte rassurante, puis doucement elle aida Anne-Sophie à remettre de l’ordre dans ses cheveux. Le geste pouvait paraitre futile mais avait une vertu apaisante.
- Ça va ?
- Oui, je crois.
- Belle mise en plis, c’est la première fois que je me trouve plus jolie que toi.
- Idiote !
- Excuse-moi. Viens, allons voir ce que cache ce virage.
C’est à ce moment que leurs visages s’émerveillèrent.
Elles étaient à l’entrée d’une immense salle, chaque balayage de leurs minces faisceaux lumineux y dévoilait un nouveau détail reflétant en tout point la description du Jardinier de Gisors.
- La chapelle Sainte Catherine ! S’exclama l’architecte. C’est magnifique ! Nous devrions allumer les lampes pour mieux la découvrir.
- Les lampes ?
- Regarde ceci, c’est une lampe à huile, je dois avoir des allumettes dans mon sac à main.
- Tu as apporté ton sac à main ??
- Je sais, c’est idiot mais je me sens rassurée quand je l’ai avec moi.
Contenant bizarrement un reste de carburant, la lampe commença à briller découvrant plusieurs de ses semblables dans son alignement. Petit à petit, en plus d’une agréable chaleur, les flammes vacillantes découvrirent l’immense crypte et ses dix-neuf gisants accompagnés de douze statues.
Mais soudain le bruit rauque de la grille raisonna à nouveau glaçant le sang des exploratrices. Elles se précipitèrent vers l’entrée alors que les lampes s’éteignaient l’une après l’autre. Elles aboutirent à la grille avec la sensation d’être poursuivie par les ténèbres.
- Mon Dieu que j’ai eu peur ! dit Elsa. Elle n’a descendu que de dix centimètres. Ecoute ! Elle remonte.
- Qu’importe, sortons je t’en prie !
- Non, le système est ancien, il est normal qu’il soit un peu instable. Aide-moi plutôt à prendre des amphores, je suis sûre qu’elles contiennent de quoi alimenter les lampes.
Elsa avait raison. Toute deux s’attelèrent à la tâche. Il y avait douze lampes, à la dixième Anne-Sophie faiblit et lâcha une amphore qui se brisa, souillant son pantalon avec une partie de son contenu.
- Mon Dieu ! Eloigne-toi vite des flammes !
- Mais que fais-tu ?
- Il faut t’enlever ce vêtement c’est trop dange… Mais ?
- Qu’y a-t-il ? Demanda Anne-Sophie en cherchant à se rhabiller.
- C’est de l’eau !
Anne-Sophie tâta son pantalon, le liquide n’était pas gras et ne dégageait aucune odeur. Elsa observa le contenu des autres amphores, toutes contenaient de l’eau.
- Eclaire une des lampes, il y a quelque chose de bizarre.
Sous les yeux effrayés des jeunes filles l’eau versée dans les lampes brulait comme de l’huile. Dans l’espace succédant aux gisants, une vasque plus large fonctionna de la même façon. Anne-Sophie chercha à se sécher à la chaleur dégagée. La grille grogna une nouvelle fois…
- Elsa, rien de ceci n’est normal. Il faut partir, nous reviendrons avec les autres.
- Ce sera trop tard, la grille ne s’ouvre que cette nuit. Regarde, la vasque a découvert le fond de la pièce et les trente coffres indiqués par Lhomoy. Il faut que je les inspecte, je te promets de ne pas être longue. En attendant, prends les statues en photos il nous faudra identifier leurs modèles.
La demande d’Elsa visait surtout à occuper l’esprit de sa camarade, elle s’enfonça avec hésitation dans l’ombre des coffres entassés. Devant l’épaisseur de leurs couvercles elle se demanda si deux filles suffiraient pour les soulever. Ils étaient composés d’un métal étrange, brillant comme du cuivre mais résistant à l’oxydation. Elle ouvrit son canif pour en prélever un échantillon. Elle enfermait délicatement la limaille dans son mouchoir quand un long cri d’effroi déchira l’atmosphère suintante de la grotte.
Se tournant vers son origine, elle vit Anne-Sophie fuir à toutes jambes vers la sortie. Pétrifiée de terreur Elsa sentit son dos se couvrir d’une sueur glacée. Luttant contre son instinct, elle tourna légèrement sa tête vers les statues.
De leurs globes ruisselaient des larmes de sang !
A ce moment un grincement continu émana de la grille…
A quoi ça sert de tuer l'ours, si on n'a pas d'abord vendu la peau ?
Mamafrau Chabala Roucoulette, challenger de Nausicaa d’Uranie pourfendeuse des torpeurs du Roi d'Ithaque, membre de l'Ordre du Hibou, A nouveau "Grand Faucon Pèlerin de l'Ordre de la Ciste Intenable", le virus est toujours là ! On y va ? On y va ? (devise empruntée à un célèbre gaulois légèrement enveloppé, voire un peu bas de poitrine...) Membre du FLAMMS ; co-fondateur du CAD. Cisteur (quasi) exclusivement grégaire. Résolutions 2019 : toujours LGL, comme en 2015, 2016, 2017 et 2018... A ne surtout pas oublier !
Elsa se fit couler un bain d'eau bouillante gaspillée et plongea sous l'épaisse couche de mousse chimique délicieusement parfumée.
Elle avait réussi à passer sous la grille avant sa fermeture mais n'avait su retrouver Anne-Sophie. De retour à l'air libre elle avait téléphoné à l'inspecteur. Celui-ci l'avait raccompagnée au manoir pendant que Thierry et Ivan partaient à la recherche de l'architecte.
Morte d'inquiétude pour elle, Elsa chassait ses idées noires en se concentrant sur l'enquête.
Insidieusement, une idée progressa dans son esprit jusqu’à devenir obsédante. Sans prendre le soin de se sécher, elle enfila un peignoir aux armes de l'hôtel, sauta dans ses petites bottes Aigle et couru au colombier.
Elsa grogna quand elle s'aperçu que l'ouvrage qu'elle cherchait était en haut des rayonnages du premier étage, elle fit rouler l'escabeau puis l'escalada. Sur la pointe des pieds elle tentât de saisir la reliure de cuir.
A l’instant où elle réussit, elle entendit appeler son prénom. Reconnaissant l'homme qui était en bas elle rabattit précipitamment le pan de son peignoir.
- Qu'y a-t-il inspecteur ?
- Ils ont retrouvé Anne-Sophie. Je pars dans dix minutes, si vous êtes prête, je vous emmène.
En sortant du colombier, l’inspecteur se dit que la matinée se terminait mieux qu’elle avait commencé.
A Gisors, ils trouvèrent Thierry à la boutique du château, occupé à charmer la stagiaire.
Elsa coupa la conversation sans ménagement.
- Où est-elle ?
- J'aime bien ta nouvelle coiffure…Anne-Sophie a souhaité se recueillir dans l'église pour se remettre. Ivan est avec elle. Le mieux est de les rejoindre à pied.
Anne-Sophie sauta au cou de son amie dès qu'elle l'aperçu. N'était-ce quelques larmes, elle semblait tout à fait remise. Rassurée, les effusions des retrouvailles terminées, Elsa souhaita faire partager l’idée qui lui était venue dans son bain.
- Suivez-moi, je dois vous montrer quelque chose, dit-elle en les entrainant vers l’escalier menant au clocher. Arrivée à son pied, elle s’installa devant le clavier de l’orgue monumental.
- Que fais-tu ? Gronda Anne-Sophie. C’est interdit !
- Ne t’inquiète pas il n’y a personne. Écoutez plutôt ceci.
- Arrête immédiatement nous sommes dans une église !
- D’accord mais cela ne vous rappelle-t-il pas ce que vous avez entendu quand Ivan barbotait ?
- En effet, il y a quelque-chose mais c’était encore pire, plus animal.
- Tu crois cela possible ? Demanda Ivan. En tout cas ça fait du bien quand ça s’arrête.
- C’est physiologique, on appelle ça le Triton ou « l’accord du Diable ». Il fut longtemps interdit par l’église.
- Uniquement dans la musique religieuse mademoiselle. Dit une voix douce et inconnue.
Un prêtre était apparu dans leur dos, il posa la main sur l’épaule d’Elsa.
- Ce que vous ressentez est dû à l’intervalle entre les notes. Même joué sur une mélodie plaisante il crée une tension qui dérange l’oreille humaine. Mais je vous demanderai de laisser cet instrument, des fidèles viennent d’entrer, il faut respecter leur recueillement.
L’homme disparu comme il était venu alors qu’Anne-Sophie pouffait :
- « même joué sur une mélodie plaisante… »
- Oh ça va ! Allons boire un verre, ça te permettra de te réchauffer.
A l’extérieur Thierry terminait une conversation téléphonique.
- Vous n’avez pas faim ? Nous n’avons pas beaucoup touché à la dinde hier, Caroline nous invite à finir les restes. C’est à deux pas.
- C’est qui cette « Caroline » ? Demanda Elsa à Anne-Sophie.
- La stagiaire. Ils ont passé la nuit de Noël ensemble.
- Je vois… Toutes les dindes n’ont pas échappé à son appétit.
L’ambiance dans le petit studio fut chaleureuse et se termina autour d’une grole réconfortante.
Elsa passa son tour et en vint au but :
- Ivan, te souviens-tu des dessins à l’entrée de la grille de la chapelle ?
- Les boutons ?
- Oui, sauf qu’il s’agirait plutôt de lettres, des lettres cryptées avec le chiffre des templiers. Rappelle-toi, de haut en bas il y avait un V inversé, un triangle, un triangle inversé puis un V.
- Tu veux dire que les Templiers avait inventé une méthode de chiffrement ?
- Oui une méthode de substitution peu performante mais qui leur était propre.
Elsa passa à Ivan un carnet ou était griffonné la clef du code. Ce dernier ne mis pas longtemps à traduire.
- CGHA ?
Elsa sortit un livre de son sac. La couverture indiquait « LES PNEUMATIQUES »
- Ceci est la reproduction d’un manuscrit d’un certain Héron d’Alexandrie qui était probablement contemporain du Christ. Les templiers en avaient certainement connaissance. Anne-Sophie, regarde le chapitre LXIII.
- Les lampes à eau ?! Tu crois que ce serait cela l’explication ? Et le sang des statues comment l’expliques-tu ?
- Provoqué par la chaleur de la vasque, Chapitre LI.
- Du vin !?
- En tout cas pas du sang car il serait trop ardu d’en nettoyer les traces après chaque fonctionnement. Je pense que CGHA signifie « Commande de Grille de Héron d’Alexandrie ». Regardez la figure XXX.
- Il a vraiment fait fonctionner ça au premier siècle ?! Mais, si tu as raison, où se trouverait le foyer ?
- Dans la maison qui est au-dessus. C’est pour cela qu’il y a deux cheminées, l’une d’elle ne sert que la nuit de Noël.
- Il suffirait donc d’y faire un feu pour entrer n’importe quand ? Ce serait trop beau !
- Il y a un moyen de vérifier mon hypothèse. Je pense que le bruit de Neaufles a été a également été créé par un mécanisme de Héron, celui décrit au chapitre LXVII. Si c’est le cas, nous devrions trouver le système moteur à la surface.
- Il est vrai que ta simulation à l’orgue ressemblait, allons-y.
Ils découvrirent le dispositif en longeant, vers l’ouest, la falaise que dominait la Tour de Neaufles.
- Bravo Elsa, ceci rend crédible votre théorie sur le moyen d’ouvrir la grille de la chapelle. Dit l’inspecteur. Reste à entrer dans la maison pour y faire du feu.
Vous avez besoin de repos, allez tous retrouver vos familles. Rendez-vous au manoir lundi pour le déjeuner.
A quoi ça sert de tuer l'ours, si on n'a pas d'abord vendu la peau ?
Après un repas digne d’un jour de fête, l’inspecteur proposa de prendre le café au colombier. Il y stockait son Calvados préféré.
J’ai trouvé facilement le numéro de smartphone du propriétaire de la maison mais il est bien protégé. En revanche celui de son gamin ne l’est pas et il a un compte Facebook. Il y partage sa localisation avec ses amis.
Si j’en juge par sa vitesse de déplacement il est en voiture et vient de sortir d’un embouteillage. Je pense qu’ils partent aux sports d’hiver.
- Qui vous dit qu’il est avec ses parents ?
- J’ai obtenu la liste des appels de sa mère. Elle a donné trois coup de téléphone aujourd’hui et aucun à son fils de dix ans. Elle est donc avec lui.
- C’est peut-être elle qui conduit, son mari risque d’être dans la maison.
- Le dernier appel a duré vingt minutes et correspond à une localisation de son fils dans les virages de l’Alpe d’Huez qui, d’après Internet, sont enneigés. Difficile de conduire en téléphonant dans ces conditions.
Je me charge de pénétrer dans la maison pour allumer le foyer, je vous donne un créneau de deux heures cet après-midi. Synchronisons nos montres.
L’analyse était fiable et le groupe put explorer la chapelle de fond en comble. Malheureusement, lorsqu’ils réussirent à ouvrir les coffres, aucun trésor ne les accueillit. Tous renfermaient des monceaux de documents anciens étonnamment conservés. Plusieurs comprenaient des alignements de chiffres et certains d’entre eux n’étaient pas en Français. Elsa en feuilleta quelques-uns.
- Cela explique la présence de chauves-souris, on les utilisait au moyen-âge pour éliminer les insectes qui détruisent les parchemins. C’est encore en usage de nos jours au Portugal. Regardez là-haut, ce sont des niches artificielles crées pour les accueillir.
- Que fait-on pour les documents ? demanda Anne-Sophie en se recoiffant machinalement.
- Je crois qu’étant la seule latiniste je devrai m’y coller. Nous ne pouvons pas tout emporter, je vous propose de prendre une liasse et quelques rouleaux par coffre, cela nous donnera une idée générale. Allons-y, il est bientôt quatre heures.
- Venez voir ceci d’abord, dit Thierry.
Il avait suivi la fibre optique jusqu’au fond de la chapelle. Celle-ci passait sous une porte de métal étrangement moderne. Elle ne s’ouvrait que de l’extérieur. Renonçant à tenter de la forcer, ils sortirent du tunnel.
Ils retrouvèrent leur voiture près de la croix templière puis s’arrêtèrent devant la maison aux deux cheminées pour récupérer l’inspecteur. Ils lui parlèrent des documents et de la porte.
- Nous aurions dû y penser, les Templiers ont construit un nouveau tunnel pour remplacer ceux qui se sont effondrés. Il est juste au-dessous de nous et doit certainement conduire à Gisors.
- Peut-être mais j’ai une autre hypothèse, intervint Anne-Sophie. J’aimerais que nous suivions cette route en direction de l’Ouest.
Elle les arrêta à un endroit qui offrait l’une des meilleures vues sur la tour de Neaufle mais ce qu’elle leur indiqua du doigt était juste au bord de la chaussée.
- Un boitier électrique ?
- Il m’a intrigué à notre premier passage ici. Regardez autour de vous, il n’y aucune maison, aucun lampadaire pas même un terrain susceptible d’être constructible. Je pense que le souterrain longe la route et bifurque ici vers la tour. S’il est moderne, il doit avoir un éclairage à la hauteur non ?
- Il faudrait que je replonge pour essayer de forcer la grille sous la tour, elle y conduit peut être. Dit Ivan.
- Oh non ! Dit Anne-Sophie. Il n’y a pas moins dangereux ? On ne pourrait pas te descendre par le puits ?
- Mais oui, le puits ! Cria Thierry...
L’inspecteur intervint.
- Je vous arrête tout de suite jeune homme, il est hors de question que l’un de vous fasse de la plongée ou de la varappe, je suis responsable de votre sécurité.
- Ne vous inquiétez pas inspecteur, ce n’est pas mon idée. Souvenez-vous, l’église possède un immense bas-relief représentant trois châteaux. A l’Est de celui de gauche est représenté un puits. Je suis persuadé que les deux châteaux du bas représentent Neaufles et Gisors, comme sur une carte. Il faut y aller.
- Demain ! Il est tard, répondit l’inspecteur perplexe.
- Il a raison Thierry, dit Elsa. Et puis j’aimerais commencer à étudier les documents.
Elsa entama ses travaux dès son arrivée. Lorsque le repas fut servi, Anne-Sophie, inquiète de son absence, monta la chercher. Elle revint seule dans la salle à manger.
- Elle m’a dit qu’elle avait besoin de l’aide de Thierry.
Le jeune homme entassa quelques victuailles sur deux assiettes et parti la rejoindre. Il revint à 22 heures, l’air fatigué.
- Ivan ? Tu peux venir ?
Anne-Sophie et l’inspecteur ne les revirent pas avant le lendemain matin.
Mardi 28 décembre 2010
Les trois jeunes gens avaient travaillé toute la nuit et ne se serait pas arrêtés sans l’irruption d’un petit déjeuner commandé par Anne-Sophie. Elsa était épuisée mais accepta d’exposer un point de situation à l’inspecteur.
- Pour commencer, nous avons fait une erreur en croyant que, à l’image d’évènements récents, les Templiers étaient des banquiers qui ont dérivé vers la finance et la spéculation.
- Ils sont restés banquiers ?
- Non, ils ne l’ont jamais été, au sens moderne du terme s’entend.
- Pourtant ils prêtaient de l’argent ? Ils sont même célèbres pour avoir inventé la lettre de change.
- Exactement mais ils ne pouvaient en tirer un revenu. L’église interdisait l’usure, Saint-Louis l’a même confirmé dans une loi. Ils ne pouvaient donc réclamer des intérêts sur leurs prêts, y compris pour combler l’inflation. Avec un Roi comme Philippe le Bel, qui rognait régulièrement le métal de ses pièces, ils devaient perdre souvent gros.
- Oui mais ils pouvaient investir cet argent pendant qu’il était en dépôt.
- Vous avez tout à fait raison et eux l’ont compris par un biais original. A l’époque où ils luttaient en Terre Sainte, ils ont développé une flotte de navires pour débarquer leurs troupes. L’un d’eux s’est avisé qu’il était dommage de les voir repartir à vide dans l’autre sens. Ils les chargèrent alors de marchandises importées d’orient.
Thierry alluma le rétroprojecteur pour afficher la copie d’un des documents.
- Pour vous faire comprendre où Elsa veut en venir, rappelez-vous l’histoire de la commanderie qui sert de domicile à votre suspect. Elle reçut entre autres donations vingt acres boisées sous certaines conditions : les Templiers pouvaient labourer et mettre en culture ces bois s’ils renonceraient à une rente d'un marc d'argent que leur offrait chaque année le même donateur. Les Templiers choisirent d’exploiter la terre, montrant qu’ils avaient compris que, comme le blé, l’argent bien semé pouvait se multiplier.
- Heu… Le rapport avec les bateaux ?
- L’argent qui dort ne rapporte pas plus qu’un bateau vide, il peut même avoir un coût.
- Un coût ? … Ah oui, l’inflation, je comprends.
- C’était également mon cas à ce stade de notre étude, dit Elsa. Pour la suite, il vaut mieux que je laisse la parole à Thierry.
- Merci Elsa. A ce niveau nous pourrions croire que, comme tout féodal ou capitaliste, les Templiers avaient besoin de terres pour faire de l’argent alors que pour les comprendre il faut avoir le raisonnement inverse. Pour simplifier nous allons d’abord parler des lettres de change.
- Je connais l’histoire. Les Templiers ayant de l’argent dans la plupart de leurs commanderies, un voyageur pouvait déposer une somme à son départ et la récupérer dans une commanderie à l’arrivée. Il échappait ainsi au risque du transport de fond. Je suppose qu’une partie de la somme revenait aux Templiers.
- Et non ! Dit Elsa. Rappelez-vous, l’usure était interdite. Ils ne pouvaient donc se rémunérer qu’en spéculant sur les taux de changes des différentes monnaies.
- C’est étonnant, dit Anne-Sophie en plaçant une couverture sur Ivan qui s’était endormi. A l’inverse d’aujourd’hui, la spéculation était donc mieux considérée que le prêt avec intérêt.
- Elle était surtout peu comprise, dit Thierry. Cependant, comme toute spéculation, son bénéfice restait aléatoire. Les Templiers ont alors établi des statistiques pour évaluer si ce service était globalement bénéficiaire. Ils se sont aperçus que oui, mais pour une raison imprévue : En utilisant la lettre de change, le voyageur protégeait son argent mais pas sa personne.
- Je vois, certains ne venaient jamais encaisser leurs lettres.
- Exactement. Les Templiers ont alors calculé qu’ils pouvaient émettre des lettres de changes pour des sommes excédant les valeurs détenues dans les commanderies de destination.
- Vous voulez dire qu’ils donnaient un argent qu’ils n’avaient pas ?!
- J’ai utilisé l’exemple des lettres de change pour vous faire comprendre exactement cela.
Il faut cependant considérer que celles-ci intervenaient très peu dans le bénéfice des Templiers. Encore une fois il faut inverser le raisonnement : ils ont créé ces lettres d’abord pour leur besoin propre, ils n’ont proposé ce service qu’après. Pour que vous compreniez il vous faut bien connaitre ce qui était à la fois la chance et le problème des Templiers : l’origine de leur fortune.
- C’est assez simple, elle provenait de la générosité des fidèles.
- Exactement, dit Thierry en posant sur la table une liasse de documents et quelques rouleaux. Laissez-moi vous décrire, par exemple, comment fut constitué le domaine qui dépendait de la demeure de notre Templier.
Thierry lut successivement plusieurs actes qu’il avait découverts dans les coffres et classés dans l’ordre chronologique.
- C'est une donation de soixante acres d'un seul tenant qui fonde la commanderie. Un don d'importance équivalente intervient trois ans plus tard. En 1225, vingt acres de bois s’y ajoutent, puis en 1226, intervient la donation par Jean de Borriz, de tout le bois qu'il possédait dans la paroisse de Boisemont. Il autorise les Templiers à en disposer à leur guise; ils peuvent le conserver, le céder à d'autres, ou le mettre en culture.
- Dois-je comprendre que parfois les dons pouvaient être conditionnels ? Demanda Anne-Sophie.
- En effet et c’est bien l’inconvénient du don par rapport à l’achat.
Il poursuivit :
- Quelques autres propriétaires ayant donné en ce lieu diverses parties de bois aux Templiers, ceux-ci les défrichèrent et y formèrent un établissement de leur Ordre.
Le premier de ces personnages était Robert Crespin, qui, par ses lettres de l'année 1219…
Il prit un temps pour dérouler le document.
- …déclara que, par amour de Dieu et pour le salut de son âme, il avait donné aux frères de la chevalerie du Temple de Salomon, en pure aumône, soixante acres de terre, à la mesure de vingt-quatre pieds par perche, de son bois.
Il ajouta à cette donation le droit d'herbage dans toute sa terre, champs ou bois, à l'exception de ses taillis, ainsi que le droit de panage pour les porcs des Templiers dans tous les lieux quelconques de son domaine. Il leur donna en outre un de ses hommes, Pierre de Vesly, avec son tènement et la rente de dix sols qu'il lui payait tous les ans à Pâques.
Une autre donation fut faite au mois d'avril 1225, par son neveu ; il concéda aux mêmes frères du Temple vingt acres de terres plantés de bois, tenant, à ceux donnés par son oncle, et touchant aux terres des Verrières,
- Nous en avons déjà parlé non ? Demanda Anne-Sophie qui prenait des notes. Il semblait que tous les autres avaient décroché depuis un moment.
- Oui c’est lui qui avait demandé aux Templiers de choisir entre une rente ou l’usufruit d’une terre à défricher.
Thierry chercha un autre parchemin dans sa liasse.
- Cela n'empêcha pas le fameux neveu de contester plus tard aux Templiers les droits d'herbage et de panage à eux concédés. Mais un accord fut trouvé en 1256, par lequel il leur reconnut ces droits dans tous ces bois, après la septième feuille, en exceptant toutefois les bois de Lyons-la-Foret et de Gisencourt. En outre, il leur accorda l'exemption du péage et des coutumes de son travers de Saint-Clair, pour toutes les choses servant à leur usage.
- Attends ! Tu veux dire que certains donnaient des terres et faisaient payer le droit d’y accéder ?
- Bien entendu. Belle façon de rentabiliser une terre sans faire l’effort de la mettre en valeur non ?
Elsa grimaça.
- Cela me fait penser à ces multinationales qui financent des œuvres pour échapper à l’impôt.
Thierry sourit.
- Tu ne crois pas si bien dire et les Templiers n’étaient pas les derniers à ce jeu. En 1231 ils construisirent une chapelle dans leur commanderie…
- Ils ont fait payer les entrées ?!
- Non mais cela a séduit une noble veuve qui donna pour son service, un demi-muid de vin blanc à prendre chaque année, au temps des vendanges, dans sa vigne des Closeaux.
Thierry se dirigea alors vers la carte et indiqua plusieurs endroits.
- Enfin, dans la décennie 1230 -1240, les Templiers reçurent des dons de terre à Cahaignes, où ils installèrent une exploitation annexe. En une douzaine d'années la commanderie disposait de trois exploitations satellites situées au Mesnil-sous-Verclives, à Boisemont et à Cahaignes.
Elle possédait également des biens fonciers et des rentes au Buisson-Hellouin, dans la paroisse de Lisores, des terres au Coudray-en-Vexin, des terres et des rentes à Tourny et une rente de douze muids de vin sur les domaines de Vernon, de Gisors et des Andelys.
Anne-Sophie consulta ses notes.
- Mais c’était ingérable ! Comment rentabiliser des dons si disparates, des terres si dispersées ?
- Tu es au cœur du sujet et je ne vous ai parlé que d’une commanderie, or ces dons s’étalaient sur plusieurs royaumes. Dès sa création, le Temple a été confronté à ce problème, il lui a fallu échanger des terres pour effectuer des remembrements.
- C’est rarement une opération rentable. Dit l’inspecteur. On devait les voir venir et monter les prix.
- Ce serait le cas si leurs terres n’avaient été étalées sur plusieurs pays. Ils vendaient donc loin pour acheter une terre locale. Ainsi ils étaient vus comme des acheteurs et non des échangeurs. C’est pour cela qu’ils ont disséminé leurs dons en numéraire dans de nombreuses commanderies.
- Ah oui et ils pouvaient encore jouer sur les taux de changes en choisissant où vendre au bon moment.
- Oui mais il y a mieux. Supposons pour simplifier qu’un seigneur Picard souhaite échanger une terre détenue en Alsace contre une terre locale templière, il ne pourra acheter celle de Picardie que lorsque le gain de la vente Alsacienne lui sera parvenu. Grace à leur réseau de commanderies, les templiers, n’auront pas ce problème.
L’inspecteur se sentait de plus en plus perdu. Thierry secoua Ivan qui, après s’être fait répéter la dernière phrase, se dirigea vers le tableau blanc en se frottant les yeux.
- Supposons quatre terrains de valeurs identiques Ta, Tp, Ba, Bp. En Alsace, Ta appartenant aux Templiers jouxte Ba appartenant au baron. Une situation identique se trouve en Picardie pour Tp et Bp. En juin le Baron vend sa terre Alsacienne et transfère les fonds en Picardie. Disons, pour simplifier, que ceux-ci arrivent un mois plus tard. Il les donne alors aux Templiers pour acheter leur terre Picarde en août. Je vais vous faire un tableau.
- Est-ce bien nécessaire ? Ce que vous décrivez est un simple échange à bénéfice nul.
- Pas du tout, dit Ivan en présentant son tableau :
- Comme vous le voyez, pendant un mois les Templiers ont fait un gain de 50% sur leurs terres.
- Ah oui, ce n’est pas idiot, ils gagnent donc le rendement de cette terre pendant un mois.
- Oui et ils auraient dû se contenter de cela. Le problème est qu’ils menaient en permanence des transactions de ce type et cela à l’échelle de l’Europe. Ils ont constaté qu’ils disposaient ainsi statistiquement d’une valeur permanente qui était bien plus élevée que le bénéfice des récoltes.
- Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
Thierry vint à son secours :
- En gros, durant le mois de juillet ils achetaient une autre terre avec l’argent gagné en Alsace, sachant très bien qu’une autre vente ailleurs permettrait un gain provisoire susceptible de combler le trou qui apparaitrait en août.
- Vous voulez dire qu’ils achetaient des terres avec de l’argent qu’ils ne possédaient pas ?!
- Et oui, on retombe sur l’idée des lettres de change. Ils avaient inventé l’argent virtuel bien avant la crise des subprimes.
- Qu’est-ce que c’est que les subprimes ?
- C’est ce qui a causé la crise de 2008. De l’argent était gagé sur des maisons dont la valeur tenait compte d’une demande supérieure à l’offre, mais les défauts de paiement ont provoqué une soudaine augmentation de l’offre et une chute du prix des maisons. Vous comprenez le rapport ?
- Non ! Dit Elsa, et je suis trop fatiguée pour cela, nous devrions aller nous coucher.
A quoi ça sert de tuer l'ours, si on n'a pas d'abord vendu la peau ?
Mamafrau Chabala Roucoulette, challenger de Nausicaa d’Uranie pourfendeuse des torpeurs du Roi d'Ithaque, membre de l'Ordre du Hibou, A nouveau "Grand Faucon Pèlerin de l'Ordre de la Ciste Intenable", le virus est toujours là ! On y va ? On y va ? (devise empruntée à un célèbre gaulois légèrement enveloppé, voire un peu bas de poitrine...) Membre du FLAMMS ; co-fondateur du CAD. Cisteur (quasi) exclusivement grégaire. Résolutions 2019 : toujours LGL, comme en 2015, 2016, 2017 et 2018... A ne surtout pas oublier !
Restés seuls avec Ivan qui s’était endormi dans son fauteuil, Anne-Sophie et l’inspecteur consultèrent les photos de l’église, en particulier celles du bas-relief.
- Effectivement, il y a bien un puits représenté à l’est du château de gauche, il y a aussi une fontaine dessinée au nord, ça correspond à quelque-chose sur le terrain ?
Anne-Sophie déploya la carte et y chercha le disque bleu caractéristique.
- Mais oui ! Et regardez son nom. Vous pensez que ce pourrait être un accès aux fondations de la Tour ?
Ils attendirent l’heure du repas pour réveiller le reste de l’équipe et une nouvelle expédition les conduisit devant une mare liée à un ruisseau stagnant. Ivan agita la surface espérant obtenir un peu de transparence.
- Vous croyez vraiment qu’il faut plonger là-dessous ?
Echaudé par l’aventure du premier souterrain, Thierry lui saisit le bras.
- Attends ! Il est impossible que l’entrée d’un souterrain se trouve sous une source. Réfléchis, celle-ci l’inonderait dès l’ouverture.
Anne-Sophie rangea la carte qu’elle consultait avec un petit sourire. Elle déchira une page de son agenda qu’elle plia consciencieusement. Elle plaça alors le petit navire obtenu sur le ruisseau.
- Ceci n’est pas une source les garçons, c’est une captation. L’eau ne va pas à la rivière, elle en vient pour abreuver les bêtes.
Thierry regarda le bateau se diriger lentement vers l’ouest.
- Ok, j’ai compris. Allons acheter du matériel nous reviendrons en force à la nuit tombée.
Eclairée par ses compagnons Anne-Sophie réalisa, avec trois fois rien, un barrage d’une étanchéité remarquable. L’inspecteur distribua alors des seaux pour vider la mare mais ils n’en eurent pas besoin. En baisant légèrement, le niveau de l’eau avait dégagé une sorte d’évent qui devait correspondre à une cavité souterraine reliée au fond de la mare. Celle-ci se vida avec une rapidité étonnante dégageant une trappe sans âge.
Contrairement à ce qu’ils pensaient, l’accès ne conduisait pas à un souterrain neuf mais à une galerie reliant la grande grotte dans laquelle avait émergé Ivan. Anne-Sophie observa la réserve d’eau, sous le puits.
- Cette eau n’est pas très limpide pour une source souterraine je suis certaine qu’elle est liée à la cavité qui a vidée la mare. Je pense que le rôle du puits est de baisser le niveau ici pour, par un système de vases communicants, permettre à nouveau le vidage de la mare.
Elsa regarda la résurgence.
- Un système à trois réservoirs qui transfèrent leur contenu ? C’est assez la marotte de Héron d’Alexandrie.
Ivan réfléchit.
- Pour moi il en faudrait quatre et c’est en ajoutant de l’eau ici qu’on viderait l’autre réserve. Mais à propos de « systèmes », voici la grille qui m’a bloquée. Elle doit fonctionner comme l’autre, il y a certainement une astuce pour l’ouvrir. Quelqu’un a une idée ?
- Peut-être moi répondit Elsa. Lorsqu’en 1307 les troupes de Philippe le Bel entrèrent dans le Temple ils trouvèrent une tête en argent ornée de pierres précieuses.
- Le fameux Baphomet ?
- Non, d’après les témoignages, Baphomet serait un visage laid avec une barbe, ici il s’agissait d’une femme. Sur son front était gravé « LVIII M ».
- « 58 m » qu’est-ce que cela signifiait ?
- Personne ne sait, à bout d’arguments les historiens parlent d’une référence, comme s’il y avait eu des centaines d’exemplaires…
- J’ai l’impression que tu as ta propre idée, sourit Anne-Sophie.
- Une piste plutôt. Si dans la tour du prisonnier on a pu facilement transformer « PONTANI » en « POULAIN » c’est parce que le haut des lettres était mal marqué. Selon la même logique, le « M » du visage d’argent pourrait être la succession de chiffres « IVI ». Si c’était le cas nous serions en face de deux nombres romains.
- Thierry réfléchit. Hm non, il y en a au moins trois car le « 9 » s’écrit IX et non VIIII.
Lisa sourit.
- Regarde la montre d’Anne-Sophie, Le 4 y est écrit « IIII » et non « IV ». Pour une raison esthétique c’est le cas de toutes les horloges en chiffres romains. L’écriture par soustraction n’était pas systématique, surtout au moyen-âge.
Thierry restait figé sur ce que lui montrait Anne-Sophie. Il se rappela qu’une horloge était peinte sur le moulin qui conduisait à cet endroit. Il n’avait pas compris son utilité puisque ses aiguilles étaient Elles-mêmes peintes sur le mur. Maintenant tout s’éclairait : l’information était dans ses chiffres, plus exactement dans son quatre symbolisé par « IIII ».
- Ok, il y a deux nombres et où cela nous conduit-il ?
Anne-Sophie sortit une Bible de son sac.
- Lorsqu’un croyant cite deux nombres sans plus de précision c’est qu’il cite un verset. Cependant, il y a plusieurs livres dans la Bible, je pense qu’il s’agit des Psaumes.
- Pourquoi les Psaumes ?
- Parce que c’est un des rares livres de la Bible qui a assez de chapitres pour le premier nombre, et puis, c’est des Psaumes qu’est tirée la devise des Templiers : « Non Nobis, Domine, Non nobis sed nomini tuo da Gloriam »
Elsa confirma d’un air admiratif, Anne-Sophie feuilleta son livre et trouva le verset indiqué par la tête.
- Etonnant, la phrase correspond parfaitement à la vocation des Templiers. Mais cela justifie-t-il d’étiqueter une œuvre d’art ?
Elsa se pencha sur l’ouvrage.
- Regarde, il y a un mot qui semble ne rien avoir à faire dans la phrase.
- « Pause » ? Il ne faut pas le prendre au pied de la lettre, l’auteur de mon missel a pris quelques libertés. En fait c’est un des mystères de la Bible. Personne ne connait la traduction exacte du mot d’origine, la plupart des autres traducteurs l’écrivent en version originale.
- Ah oui. C’est le cas dans mon exemplaire. Dit l’inspecteur qui venait de vérifier.
Elsa le regarda d’un air étonné.
- Vous avez une Bible sur vous ?!
- Un cadeau des collègues, à cause des sept péchés capitaux.
- Vous voulez dire que la police croit qu’il faut condamner sévèrement la luxure et la gourmandise ?!!
Anne-Sophie la calma en lui touchant l’épaule.
- Capital ne veut pas dire grave, le mot vient de « capita » qui veut dire tête. Les pêchers capitaux sont ceux d’où découlent tous les autres.
- En langage policier on appelle ça un mobile. Mais revenons à ce mot, pourquoi l’avoir traduit en « pause » ?
- Les traducteurs s’accordaient sur le fait qu’il avait un rapport avec la musique. C’est pour cela que j’ai pensé qu’ils ont peut-être confondu « pause » et « intervalle ».
- « L’intervalle du Diable » ?
- Oui, on l’appelle également accord du Diable ou Triton. Je crois qu’il indique comment ouvrir la grille.
- Ce n’est pas idiot, dit Anne-Sophie. Avec une pression pneumatique on peut faire jouer des orgues ou des verrous, et puis il serait de bon sens de garder au Temple le code de la serrure d’une cache. Elsa, crois-tu pouvoir détecter le fameux accord ?
Elle le pouvait. Ils bousculèrent la grille pour provoquer la diffusion du bruit immonde puis Elsa la poussa juste au moment où l’accord était joué. La grille ne se déverrouillait que le temps d’une note, au troisième essai, Elsa réussit.
La porte s’ouvrit sur une crypte poussiéreuse et encombrée. L’œil des visiteurs fut immédiatement attiré par trois grands coffres. Ceux-ci étaient âgés mais entretenus, les charnières et les serrures qui les fermaient était graissées et semblaient fonctionner.
- Le contenu des trois chariots de Jean de Châlon ! S’exclama Elsa.
Pendant qu’ils examinaient les coffres Anne-Sophie fut intriguée par une tenture. Quelques secondes plus tard, elle laissa échapper un cri.
Devant elle, sur une sorte de pilier en bois, siégeait un crâne noirci par l’âge, il portait barbe et cheveux épars et collants. Elsa la rejoignit avec Thierry.
- Je crois que je peux vous présenter monsieur Baphomet déclara-telle pompeusement.
- Qui est-ce ? Demanda Anne-Sophie avec dégoût.
- On ne sait pas. Ce nom n’a d’ailleurs jamais été prononcé mais un Templier a avoué avoir adoré une « figura baphométi » et d’autres ont reconnu qu’ils vénéraient une relique sous forme de tête.
A l’époque les reliques composées avec les restes de Saints hommes étaient très recherchées, il n’est donc pas surprenant que le Temple en ait eu une. Je ne sais pas ce que veut dire « figura baphométi » mais j’ai une idée de qui est cet homme.
- Vous pensez au fondateur de l’ordre, Hugues de Payns ?
- Les chrétiens ne sont pas idolâtres. Les Saints leur permettent de mieux communiquer avec Dieu. C’est une façon de se présenter à lui en disant « voici l’exemple que j’essaie de suivre », par extension le Saint peut apparaître comme un appui auprès du très haut. Le Saint peut être représenté par une relique ou une simple image. Prier Hugues de Payns aurait été de l’idolâtrie puisqu’il n’était pas Saint. A votre avis, quel Saint pouvait avoir autant d’importance à leurs yeux ?
- Saint Louis ? Le roi mort de la peste lors de la huitième croisade ?
- Roi connu aussi sous le nom de Louis IX, époux de Blanche de Castille, la reine qui aurait utilisé ce souterrain. Louis IX devint Saint-Louis grâce à Philipe le Bel qui influença le pape pour sa canonisation et l’obtenu en 1297. Ses reliques furent conservées à Saint-Denis dans un riche tombeau. Ici commence l’énigme du crâne…
Découragés par les serrures réfractaires des coffres, les garçons, attirés par l’histoire d’Elsa, s’étaient regroupés et dirigeaient leurs lampes sur l’étrange tête. L’obscurité qui se fit dans leurs dos amplifia l’ambiance mystérieuse de l’endroit et Anne-Sophie ressenti le besoin de prendre la main d’Ivan.
Elsa poursuivit.
- En mai 1306, bien que le royaume manque cruellement d’argent, Philippe le Bel finança un riche reliquaire destiné à la Sainte Chapelle et obtint d’y transférer le crâne du saint roi. Seules les dents et la mâchoire restèrent avec le reste du corps. En 1793 les deux sites furent profanés par les révolutionnaires, le reliquaire fut fondu en monnaie.
- Et le crâne ?
- Les historiens perdirent toute trace de lui jusqu’en 2008. Cette année-là, un nommé Philippe Boiry découvrit une lettre adressée à Louis XVIII par un certain Monseigneur d’Arthos.
- Et qu’y disait-il ?
- Que c’était son évêché qui possédait le crâne de 1793 et que celui-ci était un faux… Qu’en concluez-vous inspecteur ?
- Que vous vous êtes vite initiée au raisonnement policier. Le plus probable est que le roi ait eu l’idée de vendre secrètement cette relique aux Templiers pour renflouer son trésor. Il aurait inventé le transfert à la Sainte-Chapelle pour justifier l’ouverture du tombeau, restait à utiliser une partie de la somme obtenue pour acheter le reliquaire et faire réaliser une copie. Ceci expliquerait que l’on n’ait pas pris les dents, celles-ci constituent encore de nos jours le meilleur moyen d’identifier un cadavre.
- C’est un peu trop cynique pour être vrai. Remarqua Anne-Sophie.
- Je ne crois pas, dit Thierry. L’affaire était bonne pour les deux parties c’est donc plausible. C’est également facile à vérifier ; cette barbe cache peut-être que ce crâne n’a pas de mâchoires.
Thierry retira le crâne de son autel pour l’inspecter mais Elsa le poussa à terre en criant
- Couchez-vous !
Plusieurs chocs sourds résonnèrent sous la voute. Sans chercher à se dégager du corps d’Elsa, Thierry dirigea sa lampe vers les coffres. Quatre flèches y étaient plantées, elles provenaient visiblement de derrière le crâne. Il se tourna vers sa sauveuse.
- Héron d’Alexandrie ?
- Oui, « pneumatique numéro XXXII »… Tu peux me lâcher maintenant, nous ne risquons plus rien.
L’inspecteur se leva le premier et se dirigea vers l’autel pour y prendre quelque chose. Il se retourna en exhibant une clef que le crâne avait dissimulée.
Sans surprise celle-ci ouvrit les coffres mais ils n’y trouvèrent que deux pièces de monnaie.
Thierry les examina avec tristesse, Anne-Sophie lui ferma la main tendrement.
- Ne soit pas déçu, l’enquête n’est pas finie. Dis-nous plutôt si ce crâne avait des dents.
- Il n’en avait pas.
A quoi ça sert de tuer l'ours, si on n'a pas d'abord vendu la peau ?
Effrayé et déçu, le groupe n’oublia pas la première raison de sa visite. Ils trouvèrent l’accès au souterrain neuf derrière une tenture, un interrupteur électrique permit de l’éclairer et de confirmer l’utilité du boitier trouvé sur la route.
Après un parcours long qui aurait été ennuyeux sans la crainte d’un autre piège, ils découvrirent sur leur droite la porte d’accès à la chapelle. Elle n’était pas verrouillée mais le groupe continua sa progression. Le trajet fut encore long avant qu’ils s’engagent dans une partie un peu plus large qui se terminait par une double porte.
Encore une fois, celle-ci ne s’ouvrait que dans un sens et ils n’étaient pas du bon côté. Le câble électrique alimentant l’éclairage s’arrêtait également à cet endroit, en revanche, un tube scellé au mur, permettait à la fibre optique de traverser.
Le verdict d’Anne-Sophie ne se fit pas attendre.
- La porte est épaisse et bien ancrée, je ne vois pas de solution simple pour la forcer. Qu’en pensez-vous inspecteur ?
- On rentre à la maison, mais auparavant je souhaiterais que nous récupérions tout le contenu du dernier coffre de la chapelle. Je veux savoir comment cette aventure financière s’est terminée.
Mercredi 29 décembre 2010 08H00
L’inspecteur profita du petit déjeuner pour faire un nouveau point.
- Notre découverte d’hier prouve que l’un des châteaux représenté sur le bas-relief était bien celui de Neaufles, il me parait évident qu’un des deux autres est celui de Gisors. Trouver lequel nous amènera peut-être à la partie Est du souterrain neuf. Je vais étudier cela dans la bibliothèque avec Anne-Sophie, pendant ce temps, vous trois pourrez étudier les documents rapportés hier.
- J’en ai consulté une partie dans ma chambre cette nuit dit Thierry. Ils sont en Français, je devrais pouvoir me débrouiller seul.
Elsa prit un air boudeur.
- Puisqu’on n’a pas besoin de nos talents je propose d’aller voir si l’église ne recèle pas d’autres secrets. Tu es partant Ivan ?
- Oui.
Par chance la collégiale était déserte à leur arrivée, Elsa photographia consciencieusement tout ce qui ornait l’édifice. Troublée dans son travail par une sorte de murmure, elle s’aperçu qu’Ivan chantonnait en regardant une statue. En s’approchant elle entendit :
- « Mais où sont les neiges d’antan… »
- Commencerais-tu à admettre que la terre se réchauffe ? Lui demanda-t-elle.
- Que représente cette statue à ton avis ?
- Ca semble évident : Jeanne d’Arc.
- Regarde son bouclier.
Elsa fut surprise d’y voir la croix templière.
- Il est très efféminé ce Templier, pourtant la qualité de la statue ne milite pas en faveur d’une erreur du sculpteur.
- Je pense également à une ambiguïté voulue. La chanson que je marmonnais est citée dans le livre de notre Templier.
- Quel intérêt une chanson aurait-elle pour sa démonstration ?
- Son refrain est « Où sont les neiges d’antan » et elle fut écrite vers 1400 par un certain François Villon. Or cette date se situe à peu près au milieu de ce que les climatologues appellent le « petit âge glaciaire ». Il l’utilise pour faire remarquer que même au milieu de cette période froide on trouvait des gens qui se plaignaient d’un réchauffement.
- Enervant ! Mais c’est un argument reversible : L’hiver froid que nous avons cette année en France ne démontre rien par rapport au réchauffement global de la terre. Qu’en penses-tu ?
- Honnêtement je m’en fiche. C’est cette Jeanne d’Arc qui m’a rappelé la chanson, elle y est citée juste après la Reine Blanche de la tour de Neauphles. Regarde, la chanson est en annexe du livre.
Après avoir lu l’historienne s’écria :
- Extraordinaire !
Elle pris Ivan par le bras pour le conduire à une autre statue.
- Regarde cette femme prisonnière dans une tour. Elle est également citée dans la chanson ; juste avant Blanche et Jeanne.
- La chanson parle seulement d’une reine qui aurait fait jeter un homme dans la Seine.
- Oui, il s’agit de Margueritte de Bourgogne. L’épouse du premier fils de Philippe le Bel. Elle fut emprisonnée dans un château pour adultère en 1314.
- L’année ou furent brûlés les Templiers ?
- Oui. Le scandale fut énorme et la rumeur l’amplifia soupçonnant la princesse d’avoir eu des dizaines d’amants qu’elle faisait jeter de la tour de Nesle pour qu’ils ne parlent pas. Buridan, l’homme cité dans la chanson serait un des rares survivants.
- Excitant ! Mais quel lien avec notre affaire ?
- Elle est aussi la grand-mère de la fameuse reine Blanche de Navarre. Certains la désignent également par ce nom car suite à la mort de Philippe le Bel elle fut une reine éphémère et prisonnière.
- Pourquoi « blanche » ?
- Parce qu’elle a probablement été assassinée sur ordre de son mari devenu roi.
- Je me doute qu’il devait lui en vouloir.
- Oui et une légende dit que depuis une « Dame blanche » hante les ruines de Château Gaillard.
- Mais c’est le château qui est aux Andelys ?
- Exactement, mon idée est que cette église tend à nous conduire vers ce troisième château.
- Le troisième château du bas-relief ? C’est un peu ténu comme lien.
L’historienne répondit en chantant à son tour :
- « Si le roi savait ça Isabelle, Isabelle si le roi savait ça… »
- Tu as une jolie voix.
- Merci. J’ai découvert cette chanson de Piaf en faisant des recherches sur la tour de Gisors qui est ornée de graffitis.
- La tour du prisonnier ?
- Oui. Le titre de la chanson est justement « le prisonnier de la tour ». Je me demandais de quel secret il était question dans son refrain, tu m’as donné la réponse. L’adultère de Marguerite fut révélé à la Reine d’Angleterre, c’est elle qui en informa le roi de France.
- Ils discutaient de choses si intimes entre royaumes ?
- La reine d’Angleterre était la fille de Philippe le bel : Isabelle de France.
Elsa et Ivan furent de retour pour le repas et une nouvelle réunion dans la bibliothèque permis à l’inspecteur de faire un point sur les recherches de la matinée.
- Avec Anne-Sophie, nous avons essayé d’identifier quels châteaux de la région pouvaient correspondre aux deux édifices représentés à droite du bas-relief.
Celui du dessous a peu de particularités si ce n’est qu’il et étrangement lié à un arbre. L’autre nous a plus interrogés par le fait que le haut de sa structure est en bois.
- Aïe ! Dit Elsa. Il ne peut donc correspondre comme je le croyais à celui de Château Gaillard.
- Je pensais comme toi avant d’avoir vu cette photo, dit Anne-Sophie.
- Remarque ces trous carrés en haut des murs, ils ne peuvent avoir qu’un seul but : loger des madriers de bois. Maintenant regarde le donjon à droite de la photo, tu remarques ces jolies protubérances sur les murs.
-Oui, je connais, il s’agit de mâchicoulis, c’est une sorte de balcon protégé permettant de laisser tomber des pierres sur les assaillants qui escaladent les murs.
- Tout à fait et la forme de ceux-ci est une des plus élaborées qui ait jamais été conçue. J’ai donc trouvé étrange que les murs d’enceinte ne possèdent pas ce type de défense. La réponse était dans ces trous qui révèlent la présence de hourds, c’est-à-dire de mâchicoulis en bois, ce qui explique leur disparition. J’ai fait une modélisation 3D.
- Comme vous le voyez, bien qu’entièrement en pierre, le sommet des murs de Château Gaillard apparaissait à l’observateur de l’époque comme étant en bois à l’image du bas-relief. Pourquoi pensais-tu également à ce château Elsa ?
Elsa expliqua son hypothèse et fit circuler une version imprimée des deux chansons. L’inspecteur les lut attentivement, puis il regarda Elsa et Ivan.
- Sans la découverte d’Anne-Sophie j’aurais trouvé vos déductions farfelues. Je dois avouer que vous avez bien raisonné. Pouvez-vous nous parler du souterrain maintenant ?
- Quel souterrain ?
- Celui indiqué par la chanson de Piaf voyons ! L’histoire du prisonnier se termine dans un trou noir recouvert de feuilles, ça ne vous parle pas ?
Ivan et Elsa se regardèrent interrogatifs alors qu’Anne-Sophie relisait la chanson. Elle eut un petit rire ironique.
- L’inspecteur a raison. Vous êtes d’accord sur le fait que si le château du haut est Château Gaillard, celui du bas-droite est Gisors ?
- Oui mais il n’indique rien de particulier si ce n’est qu’il est lié à un arbre.
- Relisez la chanson ; le prisonnier disparait dans un trou et elle le pleure sous des arbres. Elle décrit même l’essence de l’arbre en question, que vous faut-il de plus ?
Vexés Ivan et Elsa décidèrent de retourner immédiatement sur place, Anne-Sophie insista pour les accompagner.
Le parc du château comprenait en effet, pas loin de son entrée, un arbre du type décrit dans la chanson, de taille imposante il ne semblait rien dissimuler sous ses racines.
- Qu’en penses-tu Anne-Sophie ?
- Je pense que nous y sommes. Regardez cette voute intégrée dans le mur d’enceinte.
- Je la vois, elle n’a aucune raison d’être puisque elle s’appuie sur le mur.
- Sauf s’il l’on cherche à alléger la pression qu’exerce le mur sur le sol. Le souterrain doit être là-dessous. Reste à trouver un moyen de le découvrir.
- Tu as une boussole ? Demanda Ivan.
Sous le regard médusé des deux filles, Ivan longea le mur dans les deux sens avant de s’arrêter vers le sommet de la voute. Il se déplaça alors sur la partie correspondante situé à l’extérieur du château.
- Mais que fais-tu ?
S’éloignant de l’enceinte tout en regardant la boussole, il répondit en regardant au loin.
- Il faut rejoindre l’église.
Arrivé au bâtiment classé, il sonda ses murs de la même manière puis indiqua une petite porte.
- Le souterrain débouche derrière cette porte.
Trop troublées pour se demander comment il avait forcé la serrure les jeunes filles le suivirent dans un cave profonde où se trouvaient deux grosses armoires électriques.
- En visitant le donjon, j’avais remarqué qu’il y avait moins de givre sur la tour que dans la cour. Je pense que celle-ci dissipe une chaleur provoqué par le fonctionnement de puissantes machines. Restait à savoir d’où venait l’énergie nécessaire.
Anne-Sophie regarda les gros câbles sortant d’une des armoires pour s’enfoncer dans le sol en direction du château.
- Une puissance assez forte pour dévier l’aiguille d’une boussole ? C’est judicieux. Cette armoire correspond à la distribution du château, l’autre doit indiquer l’origine de l’alimentation.
Elsa s’approcha pour lire l’étiquetage.
- Mon Dieu ! Il est écrit Margueritte !!
- Ne serait-ce pas plutôt « Sainte-Margueritte » demanda Ivan.
- Si, comment le sais-tu ?
Ivan déplia une carte des environs.
- Sachant le type de puissance nécessaire à un supercalculateur j’avais cherché une ligne haute tension qui n’aboutissait à rien. J’en ai trouvé une à l’Est près de cette ferme fortifiée nommée « Sainte-Marguerite ». Mon idée s’est trouvée renforcée lorsqu’Elsa m’a parlé de la fameuse Reine.
Les légendes indiquaient que Gisors avait deux souterrain dont un conduisant à l’église.
Je pense que les Templiers ont installé les câbles dans ses vestiges et l’on comblé de terre pour protéger leur salle secrète.
A quoi ça sert de tuer l'ours, si on n'a pas d'abord vendu la peau ?
Un des spots ressemble beaucoup à la deuxième photo.
Mais je ne pense pas qu'il soit public. Vous pourrez aller dedans quand même mais j'ai préféré mettre la ciste près de l'entrée.
Dommage ça aurait été sympa de vous faire chercher dans ce petit labyrinthe.
Bob
A quoi ça sert de tuer l'ours, si on n'a pas d'abord vendu la peau ?
Le briefing du lendemain déçu l’inspecteur. Bien entendu la visite de la veille semblait confirmer que les sous-sols de Gisors cachaient une machinerie moderne liée aux Templiers, mais encore une fois, le souterrain d’accès avait été bouché.
- C’est encore le mystérieux prisonnier de la Tour qui nous a révélé cette galerie, pensez-vous qu’il puisse encore nous aider ? Il y a peut-être dans tous ses dessins quelque-chose que nous n’avons pas étudié.
- Ou mal étudié. Ajouta Anne-Sophie. Nous avons trouvé le premier souterrain en nous demandant pourquoi on avait effacé « Pontani » en écrivant « Poulain ». Nous avons oublié de chercher pourquoi « Poulain ».
- Poursuivez, vous m’intéressez.
- A l’époque des croisades « poulain » était le terme sous lequel on désignait les Chrétiens qui, établis de longue date en Terre Sainte, s’étaient en partie fondus dans la culture locale.
De nouveau elle déplia une carte sur le billard, enchantant une fois de plus les garçons par l’échancrure de son décolleté. Elle se tourna vers Elsa.
- Hier en avant de m’endormir, j’ai relu ma Bible, ce que tu as dit m’a intriguée. Le mot traduit en « pause » ; regarde les noms des villages qui sont en bord de Seine en aval d‘ici.
- C’est un peu court pour nous faire croire que les Templiers avaient pensé à Val-de-Reuil avant EDF. Dit Ivan.
- Attends un peu. Ce mot parait 74 fois dans la Bible, toujours de la même manière mais sous deux auteurs différents. Comme s’il on voulait encore nous indiquer deux autres nombres ; un pour chaque auteur.
- Tout seul ce nom n’est pas parlant mais si vous lui ajoutez « el din » ?
Elsa s’empara du le livre.
- Tu penses que la Bible citait le prénom de Saladin bien avant sa naissance ?!
- Non, tu raisonnes à l’envers. Les deux religions s’inspirent de la Bible, la preuve :
Anne-Sophie monta dans la bibliothèque et redescendit avec un exemplaire du Coran.
- C’est ici qu’il faut chercher le second verset. La méthode reste la même; le premier nombre donne la sourate et le second donne le verset mais avec une particularité, il faut compter les versets à partir de la fin de la sourate.
- C’est étonnant, nous tombons pratiquement sur la même phrase que le verset de la Bible indiqué par la tête.
- Oui et cette phrase aussi possède un mot supplémentaire. Disons un nom : celui du Datacenter d’EDF !
L’inspecteur aligna les trois livres sur le billard.
- Effectivement cela fait trop de coïncidences. Soit l’on croit que la Bible prédit l’avenir soit, comme moi, on pense que les Templiers connaissait cet endroit depuis longtemps et ont influencé sa toponymie et l’emplacement du Datacenter. Reste une question : pourquoi ?
Anne-Sophie retira les livres pour dégager la carte.
- Les coteaux de Seine ont toujours été utilisés pour fournir des pierres de construction. Certaines carrières sont toujours en activité, d’autres ont été complétement oubliées. Des indices permettent cependant d’en trouver la trace. Regardez ce chemin juste au Nord du Datacenter, il s’enfonce dans un vallon comme s’il s’agissait de l’entrée d’un tunnel. Je pense que ça a été le cas et que cette partie de la colline est encore creuse. L’endroit est complétement clôturé, je n’ai pas pu le visiter.
- Cela doit pouvoir s’arranger, murmura l’inspecteur, mais quel intérêt pour notre enquête ?
La douce voix d’Anne-Sophie prit un timbre commercial :
- Le Datacenter possède une climatisation dite « Free Cooling », économe en énergie, ce système nécessite un air extérieur frais pendant une longue partie de l’année. Il existe quatre principales sources de refroidissement naturel : les eaux profondes ; le froid des hautes altitudes ; les nuits ou journées fraîches ; les souterrains.
- On imagine la solution qui a été choisie ici.
- En effet, des galeries s’enfoncent pour cela dans la colline proche qui comprend des cavités calcaires comme celles de Gisors. Les conditions du marché exigeant que le Datacenter puisse évoluer facilement, certaines ont été creusées préventivement mais ne sont pas utilisées donc pas surveillées.
- Vous pensez que les Templiers ont relié la carrière qu’ils connaissaient aux cavités calcaires qui sont à l’extrémité des galeries du Datacenter ?
- Nous sommes tous convaincus que l’activité des Templiers se fait à l’insu des sociétés qu’ils infiltrent, or le travail que nous soupçonnons demande des déplacements de matériels. Vous avez vu l’imposant système de sécurité qui garde l’entrée du complexe ? Je pense qu’il y a une entrée secrète inspecteur, pouvez-vous envoyer des hommes inspecter ce vallon ?
- Oui mais je ne pense pas que ce soit utile. Les hommes que nous surveillons n’ont jamais été aperçus dans cette zone. En revanche nous les avons vus plusieurs fois entrer dans la forêt par cette entrée à l’ouest, avec de puissants 4x4. Si vous avez raison, ils ont dû trouver de ce côté, un accès plus discret.
- Mon Dieu le poisson ! S’écria Elsa.
Voyant les regards se tourner vers elle, elle raconta sa découverte le jour de l’inauguration.
- L’endroit est entouré d’un vestige d’enceinte qui doit être contemporain des Templiers donc les propriétaires ne peuvent y effectuer de travaux importants, c’est l’idéal pour dissimuler un accès.
- Cela demanderait un monte-charge bien caché, c’est possible mais peu probable. Répondit l’inspecteur. Cependant l’endroit est idéalement placé par rapport au centre informatique, ils ont eu de la chance.
- Ou de l’influence pour que le centre soit construit ici. Rappelez-vous le troisième château dessiné dans la collégiale de Gisors que nous pensons être celui des Andelys. A son ouest est dessinée une enceinte carrée, cela peut designer ce vestige qui a exactement la même forme.
- Moui… Vous avez autre chose ?
- Oui, dans un angle du vestige j’ai remarqué une pierre sur laquelle était gravé un poisson.
- Et alors ? Mis à part que le poisson était le premier symbole chrétien, quel rapport avec les Templiers ?
- Ce n’est peut-être pas un poisson, ou pas seulement. J’aurais dû y penser après notre visite à la chapelle. Le poisson est composé de trois symboles du code templier, ils représentent dans le désordre les trois lettres du propriétaire du Datacenter.
L’inspecteur resta songeur alors que les murmures emplissaient la pièce, puis il demanda le silence.
- S’il vous plait, nous avons appris beaucoup de choses, j’aimerais que nous fassions le point. La fresque des châteaux me semble une bonne base.
Il projeta la photo correspondante.
- La fresque représente quatre enceintes fortifiées du moyen âge : Neaufle, Gisors, Château Gaillard et la levée de terre qui est derrière le Datacenter de Val-de-Reuil. Tout nous conduit à penser que les Templiers ont construit un centre informatique sous le château de Gisors et ont influencé l’établissement du Datacenter à Val de Reuil pour bénéficier de ses ressources, notamment humaines. Je comprends que les Templiers aient utilisé cette tête en argent pour se transmettre les clefs de ce secret, mais pourquoi avoir disséminé d’autres indices dans la collégiale ou dans la tour du prisonnier ? Et ne me sortez pas de phrases du type « seul l’être méritant qui saura décoder… » et autre fadaise.
- Je comprends vos doutes inspecteur, répondit Elsa. J’y ai songé également de mon côté mais je pense qu’une partie de la réponse se trouve à Château Gaillard.
- Pourquoi ?
- Parce que tout nous lie à ce château sans qu’il ait le moindre rôle, si ce n’est d’aider à situer l’enceinte carrée qui est près du Datacenter.
L’informaticien la coupa.
- Je viens de penser à un autre lien Elsa. Peux-tu nous parler d’Ivanhoé ?
- Si tu veux. Ce n’est pas un personnage historique mais un héros de roman. Ivanhoé est un croisé qui est revenu de terre Sainte avec Richard Cœur de Lion juste à temps pour faire cesser les erreurs et injustices commises par le frère de ce dernier, le fameux « Prince Jean ». C’est amusant que tu en parles car certaines de ces erreurs ont un fondement historique. Jean hérita de Richard un château imprenable mais eu l’idée d’y construire une chapelle dont les fenêtres étaient trop accessibles. Les français les utilisèrent pour s’emparer du château.
- Et ce château était justement Château Gaillard.
- En effet mais pourquoi t’es-tu intéressé à Ivanhoé ?
Ivan projeta à nouveau le top 500 des supercalculateurs
- Regarde le nom qui a été donné au supercalculateur du Datacenter d’EDF.
Elsa, surprise se tourna vers l’inspecteur.
- Il faut absolument que nous visitions ce château.
- Il me semble plus urgent de trouver comment accéder à ce qui se trouve sous le château de Gisors.
- Inspecteur, vous vous posiez la question sur l’origine des indices qui nous ont aidés. Je suis d’accord pour dire que certains ne peuvent être l’œuvre des Templiers. Je pense qu’ils sont liés à quelqu’un d’autre qui connaissait la vérité sur leur arrestation.
- Vous pensez à quelqu’un ?
- Si le roi avait voulu restreindre la connaissance de ce secret à un minimum de personnes, qui aurait été concerné ?
- La reine bien sûr.
- Elle était morte depuis longtemps.
- Ah, alors son futur successeur.
- En effet, le futur Louis X…Et par voie de conséquence ?
Thierry compris et frappa une queue de billard.
- Sa femme, la future reine Margueritte !
L’inspecteur contempla le point bleu laissé par la queue.
- C’est bien pensé, elle seule avait à la fois de bonnes raisons de connaître le secret du roi mais aussi de le trahir. Nous irons demain, il faudra trouver dans quel cachot on l’a enfermée.
Près du parking supérieur, Anne-Sophie profita de la vue panoramique sur le château pour faire une présentation succincte.
- Ce château est parfaitement placé pour surveiller la Seine. Il ne peut être attaqué que par le plateau qui est Au sud-ouest, c’est pour cela qu’ils ont construit face à lui ce poste avancé en triangle. Même si le poste avancé tombait, il faudrait attaquer le château lui-même qui possède deux enceintes concentriques avec un donjon en leur centre.
En revanche personne ne sait où était emprisonnée la Reine Marguerite. Je crois que le mieux est de suivre la visite guidée.
La visite dura une heure et impressionna toute l’équipe à l’exception, semble-t-il, de l’architecte.
- Ce château rassemble toutes les meilleures techniques de l’époque mais son donjon me paraît bizarre. J’imagine que vous savez à quoi sert un donjon ?
- C’est le dernier refuge de la défense.
- Alors pourquoi les anglais ne l’ont-ils pas utilisé ainsi ? Ils ont capitulé dès que les français ont pénétré dans l’enceinte précédente. De plus l’escalier ne convient pas. Non seulement il est à l’extérieur et mène directement au premier étage mais en plus il est à l’envers.
- A l’envers ?
- Les escaliers des donjons tournaient toujours dans le sens des aiguilles d’une montre, cela permettait à celui qui le défendait de tenir son épée du coté le plus large. Celui-ci semble construit pour se battre dans l’autre sens.
- Il servait peut-être de logement au gouverneur.
- Impossible, il est inhabitable, les archéologues n’y ont trouvé aucune trace de cheminée. Le gouverneur logeait dans le bâtiment qui est à son nord.
- Un donjon peut également servir à voir loin, celui-ci était très haut.
- Pas assez haut pour surveiller les attaques du plateau. Même quand il était complet, la tour de l’ouvrage avancé lui cachait toute visibilité. Quant à la vue sur la Seine, la position est à une telle altitude qu’une dizaine de mètres supplémentaires ont un effet négligeable. En fait, c’est l’enceinte précédente qui est le donjon et il protégeait cette tour qui devait avoir un autre usage.
- Si l’escalier est à l’envers, peut-être cherchait-on à se défendre contre ce qu’il y avait à l’intérieur. Nous cherchons bien une prison non ? Demanda l’inspecteur.
- Architecturalement, l’idée est compatible. Dit Anne-Sophie.
Elsa réfléchit.
- Historiquement elle est originale mais me fait penser à un camp romain situé à Jublains en Mayenne. Il est trop petit pour contenir une garnison et trop inconfortable pour être une villa fortifiée. Certains imaginent que ce put être une prison.
- Bien mesdemoiselles, il vous reste à prouver que celle-ci a pu héberger la reine Marguerite.
- La reine Marguerite et sa sœur : Blanche.
- Encore une Blanche ?!
- Oui, l’autre princesse adultère. D’après le roman de Maurice Druon, elle était enfermée au-dessus de sa sœur et leurs fenêtres étaient exposées à la froidure des vents dominants.
- Ok reste à trouver si cette tour possède deux fenêtres superposées.
Ils trouvèrent rapidement l’endroit mais pas d’autres indices de la présence des princesses ou leur permettant d’avancer dans leur enquête. Elsa aperçu alors un touriste de type asiatique qui approchait. Elle se tourna pour récupérer son sac à dos.
- Inspecteur, un bus de japonais vient de débarquer, je crois qu’il sera difficile d’enquêter plus loin aujourd’hui.
- Rassurez-vous mademoiselle, je suis seul. Dit l’homme dans un excellent Français tout en l’aidant à épauler son sac.
Elsa répondit par un « merci » confus et s’éloigna bientôt suivie de ses compagnons hilares.
Leur gaité s’éteignit avant d’arriver au parking. Ils étaient tous trois déçus de n’avoir pas progressé, un silence triste s’installa alors que la voiture descendait la colline. En arrivant vers la Seine, Anne-Sophie le rompit.
- Je ne comprends pas Elsa... Comment a-t-elle put devenir reine alors qu’elle était condamnée à l’enfermement ?
- A l’époque l’adultère n’était pas une raison suffisante pour annuler un mariage, aussi, quand Louis X succéda à son père, Marguerite devint Reine mais resta enfermée car son époux lui en voulait encore plus que son beau-père.
- Mais le peuple ?
- Là, c’est plus compliqué. Nous avons du mal à le comprendre aujourd’hui mais le peuple aimait son roi et sa reine, quoiqu’ils fassent, comme nous aimons nos parents.
- C’est ce que je pensais, et Philippe ne s’étant jamais remarié, cela faisait presque dix ans qu’ils n’avaient pas eu de reine…
L’inspecteur stoppa la voiture.
- Mais bien sûr ! Le peuple chercha certainement à apercevoir sa nouvelle reine. Mais en quoi cela peut nous aider ?
- C’est simple inspecteur. Que le peuple réprouve sa faute et souhaite son rachat ou qu’il regrette qu’elle soit traitée si durement, sa réaction aura été la même : Prier pour elle.
A quoi ça sert de tuer l'ours, si on n'a pas d'abord vendu la peau ?