Mon "zèbre" a 14 ans, il est en 3e, avec un an d'avance, mais paradoxalement en situation de décrochage scolaire préoccupante... et de plus en plus mal dans ce monde...
L'école a toujours été un calvaire pour lui, une source d'ennui profond...
Dès la maternelle, il me disait que l'école ne servait à rien et qu'il préférait apprendre tout seul.
Il a effectivement parlé couramment très tôt, appris à compter dans le même temps, puis à lire et calculer en autodidacte tout aussi précocement.
Il a sauté le CP et évolué sans difficulté apparente jusqu'au CM.
Ses points faibles : l'écriture, l'expression écrite ou orale (on lui demandait de développer, ce qu'il est incapable de faire) et la justification d'un résultat mathématique tombé brut sur sa feuille (incapable aussi de justifier)...
Ses points forts : les maths (sans devoir justifier), la langue française (sans devoir développer), sa grande culture générale, ses centres d'intérêt particuliers, une grande finesse humoristique et il est un interlocuteur agréable et brillant... quand on a remporté son adhésion !
Ses défauts : lenteur, rêverie, maladresse...
Ses handicaps sociaux : souvent isolé, bouc émissaire ou tête de turc, hypersensibilité, quelques fois soupçonné d'autisme.
Les difficultés sont apparues au CM, pour plusieurs raisons dont les principales étaient l'ennui, le travail, et la maîtresse.
Au travers de tout ça, le peu d'intérêt des cours proposés, la répétitivité inutile de leçons ou d'exercices, la profonde injustice de la maîtresse et ses "punitions à la con" sans fin...
La maîtresse étant ma collègue, un dialogue entre adultes pédagogues aurait pu s'instaurer... ce fut un dialogue de sourdes, et c'était inadmissible que je prenne la défense de mon fils face aux exigences de l'école (les siennes).
Je lui demandais particulièrement d'abroger les "punitions à la con" (punitions à rallonge pour des broutilles) qui n'avaient aucune vertu pédagogique et que de toute façon mon zèbre refusait de faire. Une rafale d'exigences dénuées de sens ou de fondement, de railleries ou de sanctions, qui n'avaient pour vertu que de renforcer son point de vue très lucide sur l'autoritarisme tout puissant et l'injustice, mais aussi de le plonger dans la spirale dévastatrice de la dévalorisation et la mésestime de soi.
Je ne vous raconte pas tout, mais là a commencé la maltraitance.
Étiqueté fainéant, rebelle à toute autorité (arbitraire je précise), arrogant (qui ne baissait pas les yeux quand on lui hurlait dessus pendant 10 mn !), impertinent (qui ose reprendre l'enseignant sur une inexactitude, ou simplement défendre une opinion ou une injustice) et même menteur...
Je le défendais comme je pouvais, ressentant fort bien ce qui "clochait" dans son comportement non-scolaire, réclamant un peu de répit, un peu plus d'attention bienveillante, mais sans pouvoir mettre les mots justes dessus. Je n'ai jamais été crédible...
Mon zèbre est passé en 6e en traînant un bon cortège de casseroles...
Bon, de toute façon, avec ou sans casseroles ça n'aurait pas changé grand chose à la suite...
Ses résultats se sont mis à chuter, son intérêt un instant remonté par l'espoir de nouveauté, s'est mué en apathie et résignation dès la fin de la première période. Il s'est replié sur lui-même.
La proposition de redoublement de la 6e a vite été abandonnée par ceux qui l'avaient prononcée, parce qu'ils avaient compris face à la détermination du gamin, que "non, il ne travaillerait pas plus en redoublant". Ses capacités évidentes allaient peut-être le sauver de la catastrophe scolaire ? Mais il fallait qu'il travaille !
Cette année-là, j'ai aussi mesuré la grande importance de la dimension de l'humain... L'année s'est bien déroulée avec les rares profs qui ont porté un regard positif sur lui, catastrophiquement avec les autoritaristes psychorigides...
Mais autre chose s'est révélé aussi : le harcèlement.
Outre le regard négatif porté par certains profs, mon zèbre a aussi subi les sarcasmes de certains de ses pairs, et pire encore, celui d'adultes. Un pion en particulier, qui a nié avoir proféré des insultes discriminatoires à son encontre. Bien sûr, c'est l'adulte bourreau qu'on a cru, pas la victime... (on est en train de revivre à peu près la même chose, mais là, ça ne va pas se passer pareil, je vous l'assure !)
L'unique solution que j'aie trouvée à ce moment là, a été de le changer de collège.
Enfin ! Une année de répit en 5e, même si ses résultats scolaires ne s'amélioraient pas significativement. Inexplicablement en dents de scie, quelle que soit la matière et d'une semaine à l'autre. Moins bonnes cependant si ça ne collait pas avec le prof, même si c'était sa matière de prédilection... Capacités évidentes, pertinence et connaissances remarquables, mais résultats toujours trop justes...
Seulement, à l'entrée en 3e, un autre paramètre est entré en jeu : la rentabilité !
L'image du collège (privé), qui se targue d'avoir les meilleurs résultats du département au brevet des collèges, risquait d'être un peu écornée par un point perdu au pourcentage de réussite... On l'a compris par un ultimatum posé lors d'une réunion avec le staff du collège à l'issue de la 4e : Il se met à bosser tout de suite ou on le vire. Malgré de gros efforts fournis par mon zèbre pour "bosser" (je sais maintenant que c'est une notion qui n'a en fait pas de sens pour eux), personne n'a voulu s'en rendre compte et il a effectivement été viré sans ménagement et dans des conditions particulièrement honteuses, la semaine précédant les vacances de Noël.
Déscolarisé pas vraiment dans les règles (sans conseil de discipline), il ne pouvait pas être re-scolarisé ailleurs. Eux, ils s'en foutaient, ils étaient débarrassés d'un élément gênant, et allaient pouvoir célébrer tranquillement leur "pastorale de Noël" (j'adore relire de temps en temps leur grand projet éducatif basé sur "l'épanouissement personnel de l'enfant, l'ouverture à l'autre et la tolérance"... amen !)
Oups, j'allais oublier le déclencheur de l'éviction brutale de mon zèbre du collège privé : le pion (encore un !) lui a donné une punition pour un chahut en récré. Chahut imaginaire puisque mon gamin ne faisait que discuter avec un groupe de copains qui pouvait témoigner. Cherchant à protester, il a été insulté par le pion et menacé de sanction doublée. Mon fils s'est tu mais n'a évidemment pas rendu la punition... sur ce je reçois un bulletin de colle pour "comportement inadapté". Ne travaillant pas ce jour-là, je me rends au collège pour avoir des explications, et on me présente au surveillant. J'ai juste vu son visage se changer en grimace de furie. A ma demande d'éclaircissement sur le motif de la colle, il m'a hurlé que c'était écrit sur le papier. (Oui bien sûr monsieur... et votre comportement inadapté à vous... non ?
je lui ai pas dit hein !). Devant mon insistance il m'a envoyée vers la directrice en hurlant et gesticulant comme un fou.
La dirlo : Oui, je comprends... mon surveillant est psycho-rigide. j'avais cru bien faire en l'embauchant, de lui demander de donner un tour de vis aux ados pas toujours faciles. Bien sûr ce n'est pas le cas de votre fils. Vous vous opposez à ce qu'il fasse cette heure de colle injustifiée ? Ne vous inquiétez pas,je vais voir ça avec mon surveillant, ça va s'arranger...
Le soir j'annonce donc cet espoir de clôture de punition à mon gamin. Le lendemain, complètement prostré en sortant du bus, il me dit que je lui ai menti ! La dirlo lui a braillé dans les oreilles qu'elle faisait entièrement confiance en son pion, que les adultes avaient toujours raison, que les élèves n'avaient pas à contester et qu'il serait puni et que de tout façon il allait se faire virer, qu'on en avait marre de lui !
Impossible d'aller au collège le lundi... appel téléphonique mielleux de la dirlo : "ses copains disent qu'il n'est pas au collège aujourd'hui parce qu'il a été exclu. Je vous assure que ce n'est pas vrai."
Euh... bon, il viendra demain, mardi. Pas de souci particulier ce jour, personne ne l'a interpellé sur les incidents passés.
Jeudi soir, son père m'appelle :
"Bon qu'est ce qu'on fait maintenant ?"
- Comment ça "qu'est-ce qu'on fait" ?
- Ben il est viré !" (re-amen)
Très douloureuse période, consultation d'un psy, déscolarisation, incertitudes et doutes...
Mon zèbre a été re-scolarisé par l'académie, dans le collège qu'on avait fui un peu plus de deux ans plus tôt...
J'ai craint des "représailles" de la part de certains profs. Je n'avais pas vraiment tort... "Ah, tu étais dans le privé et tu reviens... tu as 14 en anglais ? je suis sûr que tu ne les mérites pas parce que dans le privé on est surnoté !" Et la suite... pfff ! J'ai dû me fâcher !
N'empêche que mon gamin ayant un niveau d'anglais insoupçonné par ceux qui ne veulent pas le voir, souffle toutes les réponses au prof quand une expression ou un mot lui fait défaut... maintenant il lui demande quand même directement avant de vérifier dans le dico ! et c'est juste ! et toc !
Et voilà que mi-janvier, un événement extraordinaire est survenu, qui allait nous faire faire un grand virage à 180° et mettre la lumière au milieu de nos circonvolutions éteintes...
Dans le cadre professionnel, j'ai assisté à une conférence sur les EIP.
Enfants Intellectuellement Précoces.
Et là, pendant deux heures j'ai découvert mon gamin en souffrance ! Tout ce que présentaient les intervenants étaient un portrait fidèle de mon fils, à l'exception des troubles hyperactifs. Sa souffrance scolaire portait enfin un nom et pouvait être résumée par "
pensée en arborescence" (merci...)
Un mode de pensée différent, un autre monde, complètement paradoxal.
Pour les comprendre, il faudrait essayer d'arrêter de penser linéairement comme on le fait majoritairement. Leur cerveau ne s'arrête jamais (enfin si, mon zèbre me dit avoir des moments de déconnexion, mais alors là c'est même pas la peine de le solliciter, il est "vide". Il appelle ça "sa flemme". c'est en général le moment où il prend une ronflée au collège parce qu'il ne suit pas).
Quand on pose un sujet, les zèbres l'ont analysé d'emblée et sont déjà partis bien au-delà par association d'idées. Le résultat le plus flagrant (mais on ne le sais pas si on ne connaît pas cet état) est qu'ils ne peuvent même pas répondre à une consigne simple ou implicite... ils ont déjà perdu de vue le sujet initial et ne savent pas y répondre (en gros "le résultat le plus évident ne peut pas être ce qu'on me demande", alors zou, la machine à penser cherche une solution ailleurs et se perd dans un monde lointain...). L'implicite n'est pas à leur portée.
C'est souvent la cause de conclusions décalées de la part des enseignants : il est peut-être déficient, il faudrait le faire tester...
Pendant l'heure restante de la conférence, j'ai enfin eu des pistes pour espérer "le sortir de là". A vrai dire pour lui "apprendre à penser comme nous" ! Comprendre et adopter notre méthodologie pour justifier un tout.
Alors qu'eux ne peuvent percevoir que le tout, résultat d'une analyse multiple et simultanée d'une situation par leur cerveau. Pour schématiser, l'analyse fine a été tellement rapide que son cheminement (complexe) n'a pas eu le temps de passer par leur conscience : le résultat est déjà là.
In fine, pour que les zèbres puissent avoir accès à notre méthodologie, il faut d'abord qu'on puisse avoir conscience de leur fonctionnement différent, ensuite qu'on leur donne la possibilité de descendre cet escalier au-dessus duquel ils se sont retrouvés sans avoir à en gravir les degrés (comme nous l'avons fait pour arriver bien plus laborieusement au même résultat).
Bref, j'allais maintenant pouvoir justifier mes demandes intuitives de prise en compte de sa spécificité d'EIP (sur laquelle je n'avais jamais osé mettre de mot jusque là). Pour ça, il fallait que je le fasse tester, en espérant qu'il soit bien EIP, sinon tout s'écroulerait.
Oui, il est bien EIP... et il faut maintenant réussir faire écrouler les grandes certitudes pédagogiques !
Le travail à l'envers est long à mettre en place.
Il ne peut cependant se faire que si l'équipe éducative est partie prenante.
C'est le combat que je suis en train de mener aujourd'hui au collège... et c'est loin d'être gagné.
"Oui, c'est très intéressant ce que vous venez de nous dire, mais on ne peut rien faire. Il y a 27 élèves dans sa classe et on est en avril..."
Jeudi dernier, justificatifs officiels à l'appui, je leur demandais "juste" (oui je sais, j'exagère) de faire l'effort de changer leur regard (négatif) sur lui pour un peu plus de bienveillance. De mettre un autre nom sur ses rêveries et savoir à quoi correspondent ses décrochages ponctuels, de ne pas considérer son attitude comme arrogante et de ne pas le sanctionner pour ce qu'ils croient percevoir... D'accepter qu'il ne fasse pas les répétitions sans fin d'exercices de maths parce que pour les zèbres un seul suffit (la répétition de quelque chose de connu est impossible pour eux et ils déconnectent), d'arrêter les "punitions à la con", de lui permettre de regarder plus loin dans le livre de sciences (c'est comme ça qu'il faisait en une semaine l'intégralité de son livre d'exercices en anglais)... Je sais, c'est pas facile à accepter de la part d'un prof, pas non plus facilement justifiable aux yeux des autres élèves. C'est en fait ce que je leur avais déjà demandé intuitivement à plus petite échelle le jour de la réunion pour sa re-scolarisation... "mais c'est complètement impensable madame !"
Le bulletin que je venais de recevoir le matin même de cette réunion de suivi, témoignait que rien n'avait changé dans leur regard malgré les
documents institutionnels simples et clairs que j'avais mis à leur disposition trois semaines auparavant pour les sensibiliser.
Le prof principal (présent à la réunion de jeudi donc), "bêtement linéaire", ne semble pas du tout disposé à entendre ni à modifier quoi que ce soit, mis à part qu'il a supprimé sa "punition à la con" bien à contre coeur.
La principale, plus à l'écoute, a suggéré un ppre que je qualifierais d'inutile : "un engagement à s'assurer une fois par jour que la consigne est bien comprise". Pour qui la consigne, je n'en sais rien... J'attends le document pour voir.
Je rappelle qu'il y a des circulaires ministérielles qui encadrent le problème des EIP. Malheureusement il n'existe aucune politique de formation sérieuse pour ça dans l'EN. J'ai eu la chance de bénéficier de 3 heures d'information dans le premier degré. Mes collègues en ayant également profité, celle de CM qui a eu mon zèbre est venue me voir pour me demander s'il n'en faisait pas partie... ah, enfin !
Au collège, trois mois après sa réintégration, il subit toujours les hurlements et sarcasmes de certains profs (les mêmes qu'en 6e à une exception près, qui a compris d'elle même qu'il était EIP) et les "punitions à la con" injustifiées.
Exemple, si d'aventure (alors qu'il aurait plutôt tendance à se faire oublier) il discute pendant un cours avec son voisin, lui se prend deux heures de colle (par le prof d'anglais frustré !) et pas le copain. Et ces heures, il doit les faire en retenue après les cours, alors qu'il est d'usage dans ce collège de les faire faire pendant les heures d'étude pour les DP qui ont un car à prendre pour rentrer chez eux. Abus et abus de pouvoir, c'est pas la première fois. Là aussi je me suis fâchée.
Harcèlement donc... ce n'est plus le pion de l'année de 6e qui profère des insultes discriminatoires, mais un autre agent technique du collège... Ah ben non "il nie avoir dit ça"... ça vous étonne vous, que la parole de l'adulte ne soit jamais remise en question et que ce soit l'enfant qui passe systématiquement pour un menteur ? Et ils n'ont même pas honte ! Là, ils sont aussi en train de m'entendre... (je reste polie et courtoise et je formule mes phrases au mieux pour qu'ils ne se sentent pas trop agressés) et par la même occasion je dénonce le harcèlement discriminatoire quotidien subi de la part des certains de ses camarades.
Une dernière chose : les zèbres sont dotés d'une hypersensibilité, d'une intensité qu'on ne peut soupçonner. La moindre remarque négative prend des proportions inimaginables et ils sont blessés profondément pour une remarque qui, nous aurait déjà heurtés si ça nous avait été adressé. Ils sont hélas, comme je l'ai dit plus haut, souvent victimes de harcèlements en tout genre et toutes ces attaques contre leur personne sont autant de blessures sérieuses.
Mon gamin est actuellement en train de sombrer dans une nouvelle période dépressive alors qu'un peu d'espoir illuminait son visage depuis l'annonce de sa particularité de fonctionnement cérébral (enfin il allait pouvoir être compris).
Un exemple qui pourrait vous paraître ridiculement disproportionné :
Vendredi il n'a pas mangé à la cantine. Il y était cependant bien attablé avec les autres. Il y avait des frites. Ses copains de tablée lui ont rappelé qu'un jour en 6e ils s'étaient tous servis avant lui et lui avaient tendu le plat vide (c'était courant, alors qu'il n'était pas placé à la fin du sens de circulation du plat sur la table, et mes plaintes répétées au collège n'avaient jamais été prises en compte). Généreusement, ils lui avaient donné une frite chacun en riant bien de la blague. Trois ans après, alors qu'il avait une portion raisonnable devant lui, il n'a pas pu en manger une seule au seul souvenir de cette humiliation.
Insulté, raillé, harcelé, tête de turc et bouc émissaire... c'est le lot de beaucoup de zèbres. Le massacre des zèbres hypersensibles...
Malgré la longueur de cet exposé, je n'ai pas tout développé et j'ai certainement oublié des points tout aussi importants ce ceux dont je viens de vous faire part...
Il y a une infinité de profils possibles chez les EIP, et si la lecture de cette tranche de vie de Zunior vous interpelle et que vous y reconnaissez un peu de votre propre enfant, parlez-en, discutons ici, afin d'essayer éviter tant d'incompréhension et de souffrances inutiles.
Si la suspicion est forte, n'hésitez pas à les faire tester (6 / 7 ans me paraît être la bonne fourchette, après le mal sera plus difficile à panser) dès que possible chez un professionnel sérieux (gare aux charlatans). Vous serez au moins fixés et pourrez peut-être éviter un douloureux chemin de croix à votre enfant.